lundi 26 avril 2010

Megami Tensei : Chapitre III Possession


Chapitre III Possession


Plusieurs semaines passèrent étrangement calmes. Yumiko se sentait toujours mal à l'aise dans la classe sélectionnée du lycée Jûshô même si elle avait pu se faire quelques amis avec lesquels elle pouvait discuter facilement. Quelque chose ne va pas chez moi. Yumiko essayait d'effacer ce souvenir désagréable de sa mémoire.
Nakajima disait avoir invoqué un démon dans l'ordinateur mais Yumiko n'avait vu que de simples graphismes informatiques. Quant à l''animal qui avait effrayé Yumiko dans les ténèbres, c'était sûrement un gros chien que sa peur avait transformé naturellement en monstre. Croire en l'existence des démons même une seule seconde était ridicule.
Je parie que ce cercle n'était qu'une petite bizarrerie. Yumiko se persuadait elle-même. Même le professeur Obara avait participé à cette cérémonie étrange, mais il ne faut pas s'immiscer audacieusement dans les passes-temps des autres. Cela dit, Nakajima semblait avoir une puissante emprise sur tout le lycée. Récemment, il s'enfermait toute la journée dans la salle de CAI et ne se montrait que rarement en classe, seulement lorsque d'autres utilisaient la salle, et alors, il programmait sur son ordinateur de poche sans même écouter le cours lui semblant vain.
Peu importe comment on y pensait, on ne pouvait pas mettre les mots dessus. Mais, même quand elle parlait de Nakajima à ses camarades amicaux, ils faisaient mine basse et changeaient de sujet. Ce n'était pas comme s'ils le détestaient. C'était la perplexité emplie de peur et de respect hésitant sur les mots pouvant évoquer une personne aussi puissante et charismatique.
Bon. De toute manière, ça n'a aucun rapport direct avec moi...Bien qu'étant si résolue dans son esprit, elle ne pouvait empêcher son cœur de palpiter lorsqu'elle imaginait le visage de Nakajima.

C'était un matin de Juillet presque au début des vacances d'été. La route s'étendant au Sud entre la station Kunitachi et l'université Hitotsubashi était celle qu'empruntait Yumiko pour aller à l'école. Se protégeant du soleil éblouissant sous les branches des ginkgo aux feuilles vert pâle, Yumiko reposa ses yeux somnolant en réfléchissant alors qu'elle marchait. Yumiko avait le cœur lourd à cause de l'appel de la nuit dernière.

« C'est Nakayama. »
Sa mère ayant pris l'appel appela Yumiko qui aidait à faire la vaisselle du dîner.
      « T'as déjà un petit ami ?
      - Nakayama... ? »
Se demandant si elle avait un camarade portant ce nom, un éclair de lucidité la frappa soudain.
« Oh, ça doit sûrement venir de l'administration de l'école. »
Yumiko mentait à l'instant, son cœur s'accéléra. Réalisant l'agitation de sa mère, Yumiko s'arrêta puis emporta lentement le téléphone.
      « Oui, c'est Yumiko.
      -  »
Elle entendit un léger souffle à l'autre bout du combiné.
      « Allô...
      - Ne viens pas à l'école demain. »
Soudain, une voix très faible chuchota à l'oreille de Yumiko.
      « Allô, qui est...
      - Tu es sa cible. Tu ferais mieux de ne pas venir. »
Dans la cuisine, sa mère reposa ses mains de la vaisselle avec une suspicion dans l'esprit, son regard pénétrant se tourna vers la scène.
« On pourra mieux discuter demain à l'école. »
Yumiko parlait sur un ton calme. Un instant ensuite, le téléphone sonna, l'appel avait coupé.
      « Qu'est-ce que c'était ? demanda sa mère avec inquiétude.
      - Ce n'est rien. C'est vraiment très ennuyeux d'être populaire. »
Elle la trompa avec une soi-disant réponse, inintelligible.

Des étudiants en jeans bleus et en T-shirts doublèrent Yumiko alors qu'ils parlaient à haute voix du programme de leur vacance d'été. L'étui à guitare porté à gauche par l'un d'eux frappa le bras de Yumiko.
« Ah, désolé. »
Yumiko jeta un regard interrogatif sur l'étudiant lui lançant un sourire timide. Mais Yumiko comme les autres évita son regard vague.
Était-ce vraiment Nakajima ? Yumiko en avait l'intime conviction mais elle s'interrogeait tout de même. Bien qu'étant déraisonnable, la voix était bien celle de Nakajima. Mais que voulait Nakajima à Yumiko ?
La voix au téléphone était grave et faible comme si on le poursuivait. Qu'est-il arrivé à Nakajima ? À cause de ça, elle n'avait presque pas pu fermer l'œil de la nuit. La préparation du cours qu'elle faisait d'habitude était loin d'être ne serait-ce qu'à moitié fait. Ses yeux survolaient son livre de cours, le texte, dans ses yeux pénétrants, lui évoquait étrangement quelqu'un et rien n'entrait dans son crâne.
Un bruit à côté s'arrêta soudain. L'équipe de base-ball avait terminé son entraînement matinal. Yumiko tourna machinalement à gauche et passa la porte de l'école. À cet instant, le corps de Yumiko se raidit et un grand froid l'envahit. Elle même, surprise, ne comprenait pas cette réaction. Mais, l'instant d'après, se rendant compte qu'Obara l'observait de la fenêtre de la salle des professeurs, le visage de Yumiko perdit toutes ses couleurs. Le regard d'Obara était infiniment profond et sombre. Avec ces yeux-là, on eût dit le regard d'un démon. Attirée par ces yeux, Yumiko commença à marcher en chancelant quand un étudiant en vélo percuta légèrement son épaule.
« Fais attention, regarde où tu vas. »
Sa voix disparut rapidement au loin. C'était bientôt l'heure des cours. Tous les élèves entrant dans le bâtiment regardait en arrière l'expression étrange de Yumiko. Tout était comme n'importe quelle matinée ordinaire. Yumiko regarda une fois encore à la fenêtre de la salle des professeurs mais Obara avait déjà disparu.
De quoi as-tu peur Yumiko ? Ça ne te ressemble pas. Se réprimandant elle-même, Yumiko se mit à courir avec insouciance. La sonnerie de début des cours retentit dans l'établissement.

Le professeur Obara entra dans la salle en grande pompe. Son sourire ne changeait pas alors qu'elle regardait la classe.
Vraiment, je n'ai pas d'affinité avec ce professeur. À moitié soulagée, pourtant sa respiration était encore forte dans les oreilles de Yumiko, Obara avertit les élèves qu'ils allaient aller dans la salle de CAI. Un cours de littérature en CAI ? Je me demande ce qu'on va faire. Jusqu'alors, la salle de CAI du lycée Jûshô n'était utilisée que pour les sciences, les mathématiques et l'anglais. Que pourrait-on faire en CAI en littérature ?
Étrangement pour Yumiko, ses camarades de classe refermèrent brutalement leurs livres et se levèrent sans même prendre leur matériel. Yumiko se tordait le cou pour scruter toute la pièce mais le visage de Nakajima n'était nulle part.
Tu es sa cible. Tu ferais mieux de ne pas venir.
Soudain, la voix la veille au téléphone résonna au plus profond des oreilles de Yumiko. La sueur sortant de ses tempes coulaient froidement en bas de sa nuque. Les couleurs du visage de Yumiko se dissipèrent.
« Hey, que se passe-t-il ? »
Un visage auquel elle était habituée apparut dans son champ de vision. C'était l'irrésistible Kano Miyuki. Ses grands yeux noirs brillaient de malice.
      « Yumiko, interdit de traîner.
      - Arrête. Je n'en ai pas vraiment envie.
      - Allez, allons-y. »
Miyuki, le regard étrangement pétillant, attrapa le bras de Yumiko et la tira de son siège. Obara s'approcha alors de ces deux-là.
« Mlle Shirasagi, vous êtes très pâle. Voulez-vous aller vous reposer à l'infirmerie ? »
Sa voix était plus douce que nécessaire. Sa voix est très câline, non ?
« Ne vous inquiétez pas professeur. Je vais bien ! »
Avec des gestes exagérés, Miyuki tapota l'épaule de Yumiko. Tous les autres étudiants quittaient la salle sans s'en occuper. Mais, Yumiko croyait que leurs mouvements n'étaient pas vraiment naturels. Ce ne sont pas mes camarades habituels ! Un frisson lui parcourut le dos. La main de Miyuki tenant le bras de Yumiko était très puissante.
« Ne t'inquiète pas Miyuki. Je peux marcher toute seule maintenant. »
Par contraste avec ses paroles, la voix de Yumiko tremblait. Sortant par la porte de la salle de cours, une barricade de garçons l'entourait.
« Ah, allons-y. »
Tandis qu'il poussait Yumiko, les yeux de Takai vaquaient dans le vide. Sans s'en apercevoir, Yumiko était au centre de ses camarades de classe. Miyuki saisissait toujours son bras. Sa main possédait une force terrifiante que son visage délicat n'eût pas permis d'imaginer.
« S'il te plaît, lâche-moi. »
On lui boucha la bouche avec un mouchoir avant qu'elle ne hurle. Yumiko se débattait au centre des hommes alors qu'ils avançaient dans le couloir en rangs ordonnés.

Les élèves l'entraînèrent dans la salle de CAI et Obara ferma la porte derrière eux. Click. Le bruit de la serrure intérieure fermée figea les étudiants. Yumiko fut enfin libérée de la poignée de Miyuki. Yumiko parcourut toute la pièce des yeux et laissa s'échapper un cri aigu. C'est comme hier. Dans la salle de classe sans table ni chaise, il y avait un fauteuil en cuir à l'endroit où devait se trouver l'enseignant dans lequel Nakajima était profondément assis. Ses yeux mélancoliques semblaient flotter faiblement.
Nakajima, pourquoi... Ses lèvres tremblaient comme si elle voulait demander quelque chose. Nakajima regardait droit dans les yeux de Yumiko. S'étant levé lentement, il se tenait aux côtés du fauteuil et le montra exagérément de la main.
« Aujourd'hui, c'est ton fauteuil. »
Ses mots étaient comme des poignards transperçant le cœur de Yumiko. Le cauchemar de cette nuit lui revint clairement à l'esprit.
« Jamais, non ! »
Yumiko avait ses deux genoux sur le plancher. Les fines rayures du linoléum rappelèrent à Yumiko que la situation face à elle était indéniablement réelle. Ces motifs de rayures devenaient flous quand des gouttes d'eau chaudes tombèrent au sol. Ça ne sert à rien de pleurer, Yumiko. Ressaisis-toi.
De hauts talons noirs piétinaient les larmes versées par Yumiko avant de se figer. Les mains collées au plancher, Yumiko leva timidement la tête et vit Obara avec un sourire mystérieux la regardant de haut.
« Tu n'as rien à craindre. Lève-toi. »
Obara tendit ses mains envoûtantes sous le nez de Yumiko.
« Non, non... »
Yumiko secouait violemment sa tête. Nakajima, pitié. Cherchant son salut, Yumiko regarda vers les yeux de Nakajima mais sa trajectoire fut bloquée par les jambes d'Obara.
« Je n'ai pas le choix. Il est trop tard désormais. »
Yumiko entendit une note de désespoir dans la voix de Nakajima qui cherchait comme à se le rappeler à lui-même. Les yeux de Nakajima se réduisirent soudain, de l'autre côté du mur en verre, la bande magnétique de l'ordinateur hôte se mettait à tourner. Comme pour s'adapter à la rotation de la bande, l'écran situé juste devant se mit à afficher des couleurs à vive allure.
« Bon, il temps de préparer la cérémonie. »
La voix de Nakajima lançant ses ordres n'hésitait même pas. Dans les yeux de Yumiko, plusieurs étudiants parurent, s'approchant d'elle. Mais l'instant d'après, un tremblement soudain arrêta leurs mouvements.
> Attendez !
Comme provenant des fins fonds des entrailles, une voix fluctuante hurla.
> Pourquoi les as-tu arrêtés, Loki ?
Nakajima perdit contre toute attente son sang-froid. Il saisit le microphone d'une main trempée de sueur.
> Je n'ai plus besoin de ton aide désormais.
> Comment... ?
La tension était palpable dans la pièce.
> Ne comprends-tu pas, Nakajima ? Je peux d'ores et déjà apparaître dans le monde Assiah par moi-même.
Devant les yeux effarés de Nakajima, une brume bleue commença à flotter derrière l'écran. Une faille dimensionnelle entre le monde des humains et celui des démons était en train de s'ouvrir à cet endroit précis. De la vive lumière semblable à une aurore qui courbait étrangement l'espace, un vent glacial accompagné d'une odeur irritante se mit à souffler. Yumiko allait la bouche grande ouverte par l'étonnement. L'écart extrême avec sa vie quotidienne l'avait sûrement terrorisée, mais elle restait debout à fixer cette chose bleue devant elle.
Finalement, la densité de la brume bleue augmenta progressivement et se condensa comme un hologramme prenant forme. Elle commença doucement à se matérialiser. De longs cheveux noirs flottaient dans cette lumière glaciale, le sublime contour de son visage devint de bronze et ses yeux de jais fixèrent les étudiants.
« Yod, Heh, Vav, Heh »
Le mouvement de ses lèvres de bronze laissèrent échapper une incantation étouffée. Obara, agenouillée depuis un certain temps, joignit ses mains avec un regard pieux et l'accompagna dans l'incantation. Ses lèvres à la couleur du sang s'était déformées dans un air vil. Loki a à ce point pris possession de Obara... Impuissant, les élèves étaient prosternés au sol, Nakajima fixait son regard empli de colère dans le vague.
Je savais que ça arriverait un jour. Il m'est désormais impossible de combattre Loki ni même de sauver Yumiko. Mais, je devrais au moins chercher son point faible... Nakajima réussit tant bien que mal à se galvaniser. Il mit un capteur relié à son portable vers Loki ayant presque terminé sa matérialisation. L'ordinateur se connecta à l'ISG via le modem. C'est devenu sérieux à moins que je ne parvienne à le contrôler avant que ce ne soit trop tard. Envoyant les informations acquises par le capteur sur la composition du démon à l'IA Craft, Nakajima se rendit compte que le jour était venu de se séparer de Loki.
Loki la transperça de son regard puis leva lentement ses deux mains en direction de Yumiko figée par la peur. Cette forme nue, accentuée par le bronze, n'était pas sans rappeler la beauté d'Apollon dans la mythologie grecque. Ses yeux de jais dans lesquels aucun cœur n'apparaissait avaient envoûté Yumiko.
« Viens par ici. »
Une faible voix mélancolique s'adressa à Yumiko. Celle-ci regardait Nakajima comme si sa dernière heure était arrivée, mais celui-ci était étrangement froid, fixé sur l'écran. Yumiko tentait de ne pas bouger mais Loki parlait sans pitié. La couleur du sang frais teinta en un instant l'apparence maléfique de Loki. Et un bras en bronze fit soudain un claquement sonore puis commença à se dissoudre en un trait rose de plasma devenant une gelée molle et difforme. Ce fouet grandit au-delà de sa main et cette viscosité attrapa les membres de Yumiko.
« Non, arrêtez, par pitié ! »
Yumiko ne parvenait pas à hurler. La langue rouge pâle de Loki léchait ses lèvres en cercle. Les tentacules avaient attrapé les hanches de Yumiko et la soulevaient lentement dans les airs. La poitrine couverte d'écailles noires de Loki se rapprochait du regard de Yumiko. Une nouvelle tentacule commença à fouiller le corps de celle-ci par dessous son uniforme. Du mucus sortant des tentacules dissout les vêtements de Yumiko laissant ainsi s'élever une fumée blanche. Le mucus sur sa peau nue brillait.
Vite, Craft. Nakajima qui luttait pour continuer à taper sur les touches sentit douloureusement le regard implorant de Yumiko sur son dos. Le mur en verre de la salle informatique reflétait le visage désespéré de Yumiko suspendue dans les airs dont les hanches étaient déformés. Les tentacules maléfiques continuaient opiniâtrement à fouiller délicatement le corps de Yumiko, comme étant en vie battaient telles des veines, et leur chair rose brillant laissait transparaître la peau blanche de Yumiko.
> Selon les données transmises, cette substance gélatineuse est composée à 58% d'eau, à 17% d'ectoplasme et d'autres composants inconnues et impossibles à analyser.
Le message de l'intelligence artificielle apparut à l'écran.
> Des cas similaires ont-ils déjà été rapportés ?
> Yes. Cette matière a déjà été découverte dans des temples mayas du New Hampshire.
> Existe-t-il une faiblesse ?
> En raison de l'absence de cas précédents, il est impossible de formuler d'hypothèses. Toutefois, selon les rapports de l'équipe, la substance découverte sous le temple maya s'est évaporée en rentrant en contact avec de la peinture à base de sulfure de mercure.
Du sulfure de mercure ? Les yeux de Nakajima brillaient d'éclairs.

Soudain une voix haletante interrompit les pensées de Nakajima. Ses yeux scrutant la pièce s'arrêtèrent sur Obara se tordant aux pieds de Loki, elle retenait ses seins, sa poitrine étant pleinement exposée. Nakajima s'aperçut que sous sa poitrine, une partie de la taille d'un poing brillait. Plus il essayait de voir ce que c'était plus la lumière diminuait. Nakajima transféra ses données à Craft.
> Qu'est-il arrivé à cette femme ?
> Cette femme a été engrossée par un démon. Un cas similaire a été connu au 17ème siècle.
C'est absurde. Obara n'a couché avec Loki que dans un monde imaginaire... Comme réagissant aux halètements étouffés de Obara, la partie inférieure du corps de Loki commença à changer. Sa peau de bronze devint peu à peu visqueuse et teintée de rose brillant.
« Ah... »
Obara hurla de joie et ôta tous ses vêtements puis s'enlaça autour des jambes de Loki. La partie inférieure du démon désormais changée entièrement en gelée avala le corps de la femme. Le visage d'Obara entouré par du protoplasme dont la luminosité augmentait était déformé par une joie extrême. Loki était excité par l'obtention de ces deux femmes.
Le mouvement des tentacules encerclant le corps de Yumiko s'intensifia subitement. Déjà, la peau de Yumiko semblait avoir perdu toute sensation. Ses membres avait perdu toute force et sa nuque était renversée en arrière. Dans ses yeux emplis de larmes, elle voyait la situation telle qu'elle était : sa propre chair se faisait violer par un corps étranger. Les épaisses tentacules chaudes et humides ouvrirent la bouche de Yumiko. Gugh. Dans sa tête s'élevant, le sang aflua en grande quantité.
Nakajima, tu... Dans sa conscience en déclin, un fort sentiment de déjà-vu frappa Yumiko. Quelque chose, je comprends quelque chose... Loki réduisit ses tentacules afin d'amener Yumiko à lui. Perdant la tête, le corps de Loki se transforma en un tas de chair glauque libérant des myriades de tentacules. Le protoplasme rose semblable à un réseau de vaisseaux sanguins verts battait lentement comme un cœur. Les jambes minces et blanches de Yumiko furent happées par le protoplasme gluant. Finalement, le démon absorba le torse de Yumiko dans son propre corps. Tout d'un coup, deux bras firent irruption dans le protoplasme et agrippèrent la gorge de Yumiko. Son cou fut serré par une poigne puissante.
Gugh.
Du sang frais jaillit de la bouche de Yumiko. Son corps pris dans la substance étrangère se tordit dans l'agonie.
« Arrête, mais ne vas-tu pas arrêter ! »
Les pleures de Nakajima ressemblaient plus à des hurlements. Les deux bras serrant cette gorge dans la gelée appartenait au visage souriant de Obara. Ce sourire laissait clairement paraître la jalousie. Les tensions du corps de Yumiko s'arrêtèrent comme un pantin dont on a coupé les fils. Ses yeux grand ouverts étaient inanimés et se couvrirent d'une membrane blanche.
« Jol, Lulaa... »
Élevant une voix d'un autre monde, le démon duquel étaient sorties il y a peu ces tentacules laissa tomber Yumiko au plancher dans un bruit sourd. Comme pour détourner son regard du cadavre, Nakajima regardait profondément le message de Craft affiché à l'écran dans une tempête de regret et de colère. Pourquoi ne l'ai-je pas plus dissuadée ?
Au lieu de téléphoner aussi vaguement, s'il avait été direct et lui avait tout racontée, il n'aurait pas assisté à ce spectacle avec Yumiko. C'est moi qui ai tué Shirasagi... Il n'avait pas assez anticipé la capacité de Loki à se matérialiser par lui-même. C'était vrai certes, mais le démon ainsi incarné dans le monde Assiah était un mal colossal comparé auquel l'assassinat de Yumiko n'était rien. Et puis il était complètement impuissant face à lui. Entrouvrant involontairement ses lèvres, Nakajima vit une lumière rouge dans un coin et y tourna son visage.
Les tentacules du démon qui avaient changé la salle de CAI en forêt de protoplasme mouvante, attrapaient les étudiants dans un état hypnotique. Les étudiants souriant de manière assez contrastée se laissaient emporter sans résistance dans le corps de Loki.
Fush, fush.
Le bruit des os se brisant frappait les oreilles à un point inouï. Les étudiants transformés en tas de chairs sanguinolentes et d'os brisés étaient éjectés hors de la gelée de protoplasme. Ils étaient sombrement répandus sur le plancher laissant échapper une odeur nauséabonde. La lumière rouge attira l'attention de Nakajima comme s'il était en enfer sur Terre. Une légère aura rouge vaporeuse flottait près de l'entrée de la salle. Il est impossible que ce soit une distorsion de l'espace-temps due au démon Loki... ? Mais l'instant d'après Nakajima fut interrompu dans ses suppositions par une surprise inouïe. Les tentacules visqueuses s'étaient accrochées à son bras.
« Loki, qu'est-ce que tu me fais ! »
Plusieurs tentacules entravèrent également les jambes de Nakajima. Loki se mit à rire bruyamment.
« Cette femme me suffit pour manipuler correctement l'ordinateur. Pour moi qui peux déjà apparaître dans le monde Assiah par ma propre puissance, tu es totalement inutile voire gênant. »
Le visage souriant de Obara se dirigeait vers le corps de Loki. Nakajima prit rapidement son ordinateur de poche avec la main. Les tentacules soulevèrent son corps vers le plafond. Alors qu'il était en plein ciel, Nakajima appela désespérément Cerberus. Il savait que la bête digitale ne pouvait pas vaincre le démon supérieur Loki mais il ne pouvait rien faire d'autre.
Une brume blanche s'éleva de l'écran.
« Vas-y, Cerberus ! »
Comme pour répondre à son cri, la brume grossit rapidement attendant impatiemment sa matérialisation pour combattre Loki. Alors que la forme étrange de Cerberus apparut, il se rua sur les tentacules de Loki les déchiquetant de ses crocs et de ses griffes.
« Toi, un démon des ténèbres t'associes aux humains ! »
Comme Cerberus crachait un souffle de feu de sa gueule pleine de crocs acérés, Loki se mit à hurler à en faire trembler le sol. Évitant habilement les tentacules claquant bruyamment, la bête démoniaque planta férocement ses crocs à leur base. Des gouttes du sang vert de Loki tombèrent dissolvant le linoleum. Le choc des deux démons produisaient comme des éclairs fendant également le mur de verre. Malgré le combat furieux entre la bête démoniaque et Loki, ce dernier ne libéra pas Nakajima de son étreinte.
« Cerberus, par ici ! »
Distrait par le cri de Nakajima suspendu dans les airs, Cerberus fut attrapé par une tentacule. Sa lourde queue d'écailles s'arrêta un instant. Alors, elle se divisa en deux serpents qui mordirent et arrachèrent la tentacule. Loki poussa un cri effroyable. Les yeux de Cerberus ayant échappé aux tentacules suivaient Nakajima. La bête démoniaque eut un instant de chance. Tordant ses tentacules, Loki lança Nakajima vers Cerberus. S'habituant à la morsure des crocs, les tentacules rattrapèrent Nakajima tombé au sol. Le sang coulant de son front voila sa vision d'une teinte rougeâtre. À ses yeux la scène de rage de Cerberus semblait une illusion lointaine disparaissant progressivement dans le flou. Voici les derniers instants d'un sorcier.
Dans l'esprit de Nakajima, les souvenirs de l'étrange hallucination se réveillèrent. C'était probablement arrivé en vrai. La femme dans ses cris avait appelé le jeune homme Izanagi. Il se demandait quel rapport il y avait entre lui et la légende de la mythologie japonaise sur Izanagi et Izanami... Mais ça ne pourrait rien changer de le savoir maintenant. Nakajima ferma tranquillement les yeux comme s'il s'était résigné. Harcelé par Loki, il entendait les cris lointain et perçants de Cerberus qui luttait.

Au même instant, le cœur de Yumiko qui aurait dû être totalement arrêté se mit à battre lentement une fois.
« Yumiko, Yumiko. »
Elle entendit une voix familière l'appeler.
« Qui est-ce ? Maman ? »
C'était une voix douce. Elle s'arrêta un instant probablement parce qu'elle savait que Yumiko s'était réveillée.
      « Je suis encore en vie ?
      - Lève-toi, Yumiko. »
Cette voix parlait directement au cœur de Yumiko. Celle-ci ouvrit timidement les yeux se rendit compte que la voix venait du haut d'où une aurore rouge apparaissait. Se développant, un mirage semblable à un paysage rural apparut dans l'aurore. Mais le possesseur de cette voix n'y était pas visible. Des rizières sous l'azur n'étaient pas encore plantées. Les collines étaient couvertes d'herbe d'été. Des groupes de rochers mystérieux étaient disposés négligemment.
      « N'est-ce pas Ishibutai Kofun (monument funéraire mégalithique japonais) à Asuka ?
      - C'est comme cela que tu l'appelais en tant qu'Izanami dans une vie antérieure. »
Une fois de plus, la voix s'adressa à son cœur.
« Ma vie antérieure ? Qu'est-ce que ce monde mythique d'Izanami ? »
Tout cela était si soudain. Cependant, Yumiko sentait instinctivement que tout cela était réel.
« Lève-toi, Yumiko. Cet endroit dans les airs est Asuka où je sommeille. Accompagne Nakajima, non, ton cher Izanagi jusqu'à moi. »
Yumiko regarda maladroitement en arrière en levant les yeux voyant la portée exacte de cette tragédie. Son souffle fut coupée et elle perdit toute capacité de réflexion. À cet instant, Yumiko sourde jusque là fut ramené dans le monde réel par le hurlement féroce du démon.
« Mon arrivée est... tardive. »
Dans l'esprit de Yumiko, le soupir de la voix se fit entendre. À ce moment-là, elle vit Nakajima emporté par les tentacules cachées dans les tas de chairs des étudiants. Ses yeux étaient déjà clos.
« L'espace d'un instant, je vais entrer dans ton corps et t'accorder ma puissance. Entre autres, tu auras le pouvoir de brûler tout ce que tu fixes des yeux. Mais ton corps ne pourra peut-être pas le tolérer... »
Une intense lumière sortit de la faille dimensionnelle et pénétra son corps, Yumiko sentit une force comme elle n'en avait jamais eu dans tout son corps.

« Gyaah... »
Ce cri inhabituel comme jamais entendu fit ouvrir en grand les yeux de Nakajima. Que s'est-il passé ? Levant les yeux, Nakajima vit les tentacules brûler et laisser échapper de la fumée bleue au-dessus de sa tête. Il sursauta et tenta de réprimer sa surprise. Des dizaines de tentacules s'entortillant comme des vagues et se tordant sous l'effet des flammes dans les airs. Sous l'effet de la colère, le visage de bronze de Loki d'où provenait la masse de chair de protoplasme devint rouge sombre. Des piliers de flamme le frappant en divers endroits laissaient échapper une odeur horrible de mort. De la fumée bleue tourbillonnait ainsi dans la salle.
Nakajima regardait ahuri Yumiko qui devait être morte se lever brusquement, ainsi que la rage dans les yeux rouges de Loki la maudissant. Shirasagi va bien ? Là où Yumiko portait son regard, des boules de feu s'abattaient furieusement. Chez les sorciers ce pouvoir était nommé pyrurgie. Loki agressé par les flammes expulsa Obara de son corps et commença à scander une incantation. Le protoplasme rose se condensant recouvrit son corps de bronze. Alors que Loki fixait Yumiko devant lui, il avait déjà retrouvé son sublime corps de bronze nu.
Yumiko se battait désespérément. Kshi, kshi. Des étincelles volaient sur sa peau de bronze tandis qu'un sourire étrange déformait le visage de Loki. Déjà ! Yumiko tint par réflexe sa tête avec la main. Alors la puissance de la voix dans son esprit effaça toute peur du cœur de Yumiko.
« N'aies crainte. Enfuis-toi vite avec Nakajima. »
Se dirigeant vers Nakajima qui se tenait coi et ahuri, Yumiko lui prit la main. Sa main est chaude. Nakajima avait oublié depuis longtemps cette chaleur que lui donnait aussi sa mère.
« Nakajima, cours ! »
Ses yeux étaient péniblement tournés en direction de l'aurore rouge vers l'embrasure de la porte. Quand Nakajima comprit l'endroit qu'ils visaient, il inspecta toute la pièce des yeux. Ayant perdu le combat, le corps étendu de Cerberus fut rappelé dans l'ordinateur de poche et Loki se dirigea froidement vers les deux autres.
« Attends ! »
Yumiko était pétrifiée. Mais devant ses yeux tout devint rouge et ses lèvres laissaient échapper des mots qu'elle ne prononçait pas.
« Arrière, démon. »
Pour un court instant, le corps de Yumiko fut entièrement contrôlé par Izanami qui libéra toute sa puissance et frappa l'air comme avec une épée.
« Gyaah... »
Une colonne de flamme frappa le corps de Loki au front, le seul endroit de chair gélatineuse lui restant. Lorsque Loki recula dans un cri effroyable, les deux purent s'échapper par l'aurore. Du sang frais gicla. Mais l'aurore disparut rapidement et les deux silhouettes également. Là où elle se trouvait, du sang coulait avec fluidité dans l'air sur la peau de Loki hurlant à la mort son désir de vengeance.

samedi 10 avril 2010

Megami Tensei : Chapitre II Transfert

Chapitre II Transfert


Il était minuit à Marunouchi Yon-Chôme. L'éclairage des bâtiments éteint les faisait s'élever comme de grandes tours noires. Nul ne marchait sous les rangées de ginkgo. Seules des mite papillonnaient, attirées par l'éclairage de la rue. Le quartier était si calme qu'on pouvait presque les entendre heurter les piliers en fer.
Mais le silence extérieur semblait n'avoir aucun rapport avec les grandes sociétés qui tiraient avec fierté l'économie du pays. Le douzième étage de la société de production Mitsune était en fait toujours allumé. C'était le secteur trois de l'exportation en charge du commerce avec l'Europe. Il ne restait que deux semaines avant le passage de la loi EC sur la régulation des importations en août. Dans cette dernière occasion d'exporter, tous les hommes du secteur avait dû travailler vingt heures d'affilée à plein régime.
Comme l'on pourrait s'y attendre, certains faisaient une sieste sur le canapé tandis que d'autres étaient allés prendre des ramen dans un petit restaurant près de la station de Tokyo. Inoue, les yeux injectés de sang et à moitié fermés saisissez en ligne le plan d'exportation via bateau du lendemain sur un poste de travail relié à l'ordinateur principal. Mais avec ses lunettes métalliques couvertes d'empreintes de doigts, il n'était aussi élégant qu'à son habitude.
Caressant nonchalamment sa moustache d'une main, l'index de son autre main rebondissait violemment sur le clavier.
« Combien de temps reste-t-il ? »
Hashiguchi qui venait de faire une sieste sur le canapé se leva à moitié et l'appela. Sa voix paresseuse se mêlait à un bâillement.
« Ça ne devrait pas prendre bien longtemps : il ne reste que l'électroménager français. »
Se servant de sa feuille de codes en vinyle comme d'un éventail, Inoue envoyait de l'air sur sa poitrine paraissant sous sa chemise.
« De combien à augmenter l'exportation ? »
Hashiguchi se leva enfin. Alors qu'il se frottait les yeux, bouffis, il regarda l'écran par dessus l'épaule d'Inoue.
« Je dirais de 200% par rapport à l'année dernière. J'ai peur quand je pense que la douane pourrait tout interdire.
- Il y aura plus ou moins de frictions mais c'est tout. De toute manière, dans deux semaines, on va malheureusement perdre 90% des exportations de l'année dernière.
- Mais Kachou (chef de division) et les autres mettent du temps. Ça ne prend pas une éternité pour manger des ramen. Ils ont dû s'arrêter prendre un verre.
- Repose-toi. Je vais m'occuper de la saisie un petit moment et on changera. »

Hashiguchi sourit de bonne humeur en posant sa main sur l'épaule d'Inoue.
« Eh bien, désolé de t'imposer ça. »
Dès qu'Inoue se leva, le modem se mit à sonner. La DEL clignotait pour montrer un transfert de données depuis une branche intérieure de la société.
« Qu'y a-t-il encore ? lâcha Hashiguchi.
- Ils veulent sûrement qu'on leur envoie nos surplus. Mais pour l'instant je m'occupe pleinement de l'exportation alors je n'ai pas le temps pour ça. »

Inoue étant déjà en pause, il n'argumenta pas plus.
« Mais eux aussi au bureau là-bas ont travaillé dur jusqu'à cette heure-ci. »
Hashiguchi changea de lecteur de disque en se calmant et mit l'ordinateur en mode de réception. Une série de nombres disparut et l'écran devint vert. Il s'agissait normalement de la session où l'ID de l'expéditeur devait s'afficher. Mais bizarrement, des couleurs défilèrent à l'écran ainsi que des symboles incompréhensibles.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Il s'agissait évidemment de lettres en hébreu mais ces deux-là ne le savaient pas. Finalement, l'écran afficha un homme debout.
« J'aimerais bien dire deux mots à ceux qui font des blagues en plein milieu de la nuit. »
Inoue alluma une cigarette tandis qu'il jetait un coup d'œil sans intérêt à l'écran. L'odeur de celle-ci cacha celle de musc âcre qui commençait à envahir le bureau. Toutefois, même si c'était une plaisanterie, l'homme à l'écran était très bien fait. Son corps était aussi bien proportionné qu'une statue grecque. Il avait de longs cheveux noirs, des lèvres roses éclatantes et ses yeux sombres cachaient un mal indéfinissable.
« Quoi qu'il en soit c'est un niveau très avancé de CG (image de synthèses), hein ? » remarqua Hashiguchi.
Ayant oublié d'ôter le filtre de sa cigarette, une fumée suspecte s'en échappait alors qu'il brûlait.
« Oh, désolé. »
Alors qu'Inoue était occupé à éteindre sa cigarette, l'homme à l'écran sourit. De ses lèvres entrouvertes, on pouvait apercevoir des dents aiguisées. Hashiguchi était fasciné par ce sourire. Désormais, toute l'attention de Hashiguchi se portait sur l'homme dans l'écran. Il remarqua bientôt que la surface de l'écran était étrangement humide.
Nettoyant l'écran avec le dos de sa main, Hashiguchi sentit une matière visqueuse se collait à ses doigt ; il recula en un instant. Alors qu'il se débarrassait violemment de la chose gluante collée à sa main, elle tomba sur le plancher comme une flaque d'eau pesante.
« Wow, qu'est-ce que c'est que ce truc ? »
Les cris de Hashiguchi apprirent à Inoue que quelque chose d'anormal arrivait. Les yeux de Hashiguchi dont le visage était livide observait fixement la substance gélatineuse roulant sur le plancher. Elle se tortillait doucement.
Sous sa peau de protoplasme rose s'étendait un réseau de vaisseaux sanguins verts. La masse mystérieuse battait comme un organe juste prélevé sur un corps vivant. Hideux. Il était impossible de décrire plus que ça cette immonde masse.
Slash, slash.
Elle fit du bruit en se déplaçant. Il semblait s'approcher fermement des deux hommes. Une odeur de chair répugnante leur attaqua les narines.
Bleurk.
Inoue hurla puis vomit.
« Fuyons ! »
Tandis que Hashiguchi reculait, il attrapa Inoue incapable de bouger et alla vers la porte. Mais le corps étranger était déjà tout près des pieds des deux hommes. De l'épiderme de cette gelée, des tentacules recouverte d'une substance visqueuse comme de la confiture rouge s'étendirent et attrapèrent les genoux d'Inoue.
« Dé... dégage... »
Hashiguchi hurlait de plus en plus, alors que ses glissaient sur le bureau, il lançait tout ce qu'il pouvait vers l'étranger. L'épiderme de la gelée absorbait tout.
Toc, toc.
On ne savait plus s'il s'agissait du cœur de Hashiguchi qui battait fort ou bien la gelée. Les deux yeux grand ouverts de Hashiguchi virent un mouvement rapide du corps étranger. L'instant d'après, son pied droit était enveloppé dans une gelée rose. Hashiguchi allait hurler, mais sa peur lui serrait la gorge.
Le corps étranger commençait avec peu d'appétit à dévorer le corps de Hashiguchi. Ce dernier était inexorablement entraîné. Il ne ressentait aucune douleur. Comme si ces organes internes avaient déjà été enveloppés par la peau du corps étranger. Hashiguchi leva désespérément les mains au ciel comme pour chercher un dernier espoir.
Fush. (déchirement de chair)
Des gouttes de sang se dispersèrent dans toutes les directions. De la substance étrangère en pulsations, seul le crâne de Hashiguchi étant saillant. Des tentacules vertes et gluantes sortaient de ses orbites vides.
Inoue n'arrivait pas à se dire que la morte effroyable de Hashiguchi était réelle. Il frappa du stylo bille qu'il tenait la tentacule rouge accrochée à son pied, encore et encore, comme une machine. La raison d'Inoue refusait la scène se déroulant devant ses yeux. Le corps étranger fixait Inoue. Sans qu'il ne s'en aperçoive, des yeux lui avaient poussé. Ces yeux maléfiques étaient emplis d'un charme tenace et fixaient fermement Inoue.
Les tentacules grimpèrent de ses pieds à son torse. Inoue rit brusquement. Alors qu'un liquide vert s'échappait de la tentacule, une odeur de chair dissoute à l'acide sulfurique envahit la pièce. Inoue riait comme un fou alors que son corps se dissolvait.
« Qu'est-ce qu'ils ont les collègues ? »
« Ils doivent s'amuser avec du lolicon. »
Dans l'entrée, les collègues rentrant de l'extérieur s'examinèrent quand ils entendirent le rire fou d'Inoue.

Au même moment, dans la salle de CAI du lycée Jûshô, face à l'ordinateur hôte branché au modem, Nakajima essayait de dialoguer avec le démon Loki.
> Alors ? Est-ce que l'expérience de transfert s'est bien déroulée ?
> YES (Oui)
La voix étouffée sortant des haut-parleurs secoua fortement les tympans de Nakajima.
> Il semble que tu sois finalement obligé de reconnaître ma technologie.
> Si tu le penses, je ne te détromperais pas. Mais nous sommes très loin de la perfection.
> On n'y peut rien. En envoyant une aussi grande quantité de données à la fois, il est inévitable que quelques erreurs de données surviennent.
De la sueur brilla sur le front de Nakajima où se trouvait le microphone. Bien que continuant à parler calmement, son corps se raidit et de une anxiété qu'il ne pouvait pas maîtriser l'occupait. Et si Loki avait la puissance nécessaire pour se matérialiser lui-même, qu'adviendrait-il ? Non, il ne peut pas être capable d'une telle chose.
Pour l'instant, Nakajima n'avait toujours pas remarqué que Loki pouvait se matérialiser.
En fait, Loki s'est soumis aux tests sur ma théorie du transfert des démons.
La théorie du transfert des démons. Pouvoir se déplacer librement était le rêve de longue date de Loki mais également de tous les démons. Depuis des temps immémoriaux, les démons étaient très limité dans leur déplacement sur cette planète, d'ailleurs, une fois le démon invoqué, il ne pouvait pas conserver son être hors d'un rayon de quelques kilomètres autour de son point d'émergence. Par conséquent, le monde des humains n'avait encore jamais été envahi par un puissant démon.
Nakajima avait conçu une technologie qui allait chambouler une fois pour toutes tout le sens commun dans le monde des démons. Cette technologie transforme le démon en signal numérique et l'envoie via la ligne téléphonique sur n'importe quel ordinateur. Une fois pleinement développé, les démons seront totalement libérés des contraintes physiques inhérentes à leur déplacement. Et ce soir, le succès de l'expérience avec Loki était une très grande avancée.
Si Nakajima avait été courant du carnage à la société Mitsune, il aurait sûrement détruit tout l'équipement informatique à portée de main. Le corps du démon avait la capacité de se matérialiser. Cela signifiait que la situation était bien plus terrible qu'on ne pouvait l'imaginer. Le succès de l'expérience de transfert avait permis au démon de dépasser les limites lui étant imposées...
Alors qu'il essayait de la nier, son anxiété augmentait. Pour rivaliser avec Loki, je pourrais bien devoir invoquer un démon plus puissant.
> Donne-moi un sacrifice.
Soudain, une voix hurla dans les écouteurs.
> Donne-moi Shirasagi Yumiko.
Shirasagi, Shirasagi Yumiko ? Nakajima rumina son nom. Loki voulait Yumiko.
> Impossible, je ne peux pas le permettre.
Il se mit à hurler sans s'en rendre compte. Nakajima lui-même était surpris de sa réaction.
> À qui donnes-tu des ordres, mon garçon ?
La colère dans la voix de Loki était évidente.
> Attends, d'accord.
Les lèvres de Nakajima tremblaient. L'image du visage innocent de Yumiko fit une apparition fugace devant ses yeux. Nakajima fut à nouveau emporté dans un monde fantastique.

Les rochers qui s'élevaient et les nuages turbulents n'apparaissaient pas aux yeux du jeune homme. Il plissait les yeux et fixait avec détermination le chemin devant lui. Ses lèvres horriblement sèches étaient recouvertes de sang coagulé. Ses pieds pourpres étaient entaillés par plein de petits cailloux. Mais le bruit du halètement se rapprochant derrière lui le fit accélérer le pas.
« Izanagi, pourquoi ne m'attends-tu pas ? Est-ce parce que je suis devenue aussi laide ? Quand tu es entré dans Yomi, le royaume des mort tu m'as promis que tu me ramènerais quoi qu'il me fût arrivé. Était-ce un mensonge ? Peu importe ton apparence, je n'aurais pas fui... »
Comme pour effacer sa peur et sa culpabilité, le jeune homme se mordit férocement les lèvres. Il courait pour s'enfuir, mais la ténacité de la femme réduisait peu à peu la distance entre eux. Les larmes coulant de ses yeux emportaient ses cils et alors qu'elle hurlait ses cheveux tombèrent au sol.
« Izanagi... »
À chaque cri, la chair de ses joues se rompaient laissant apparaître ses dents blanches. Bientôt le chemin cessa et des marécages verts s'étendaient devant les yeux du jeune homme.
« Toyoashihara... »
Ses lèvres blessées tremblaient avec le soulagement. Il ouvrit grand ses bras, prit une grande bouffée de l'air humide, referma fortement ses lèvres et regarda derrière lui. La pitié envahit ses yeux qui fixaient l'horrible femme le poursuivant. Le jeune homme s'assit à la sortie de la vallée, ferma les yeux et commença à méditer. La sueur sortant de tout son corps coulait et s'enfonçait dans le sable. Ses dents se serrèrent jusqu'à la limite d'un craquement alors que les muscles de ses joues se contractaient. Son beau visage avait perdu ses couleurs et semblait déformé.
Quand la femme arriva, un jet de pierre commença alors que le jeune homme flottait dans les airs. C'était de la psychokinésie ! Du milieu des falaises escarpées, un grondement indiqua une myriade de rochers plus ou moins petits s'effondrant. La femme s'arrêta soudain et un immense rocher à deux pas d'elle s'effondra et scella le chemin.
« Pardonne-moi, Izanami... »
Fermant ses paupières, le jeune homme se releva et tituba sur ses jambes tremblantes dans le marécage. Écartant les roseaux à la hauteur de ses joues, le jeune homme entendit le hurlement lointain de la femme.
« Je te retrouverai. Que cela prenne des centaines ou des milliers d'années... »
Sa voix saccadée résonna dans le cœur du jeune homme et le brisa.
« Pardonne-moi, pardonne-moi... »

Nakajima quitta la salle de CAI l'allure déprimée, et, quelques minutes plus tard, une ombre noire passa dans le couloir comme si elle avait attendu impatiemment. La main chercha dans l'obscurité l'interrupteur d'un terminal puis l'actionna, l'écran éclairait le clavier sur lequel couraient des doigts. Il s'agissait de doigts blancs et délicats. Ces derniers s'arrêtèrent brusquement au son d'une voix intimidante.
> Obara.
La voix l'appelait.
> Le programme de transfert de Nakajima est affiché. Peux-tu le manipuler pour moi ?
> Je crois. Tant que ce n'est que le manipuler.
> C'est suffisant. Il est inutile de l'améliorer. Si je peux me déplacer et prendre forme librement, je pourrais dominer le monde Assiah, seul.
> Vos désirs sont des ordres.
Le microphone avait capté son murmure enflammé.