jeudi 18 mars 2010

Megami Tensei : Chapitre I La nuit du démon

Chapitre I La nuit du démon


    Un matin de Juin alors que le Soleil brillait après une longue absence. Les flaques de boue brillaient comme des miroirs. Shirasagi Yumiko louchait un peu pour discerner le bâtiment de trois étages que la vapeur d'eau provenant du sol faisait vibrer comme un mirage.
Shirasagi Yumiko.
    Ses membres sveltes et allongés ne faisait pas mentir son nom : Shirasagi signifiant aigrette, un héron blanc. Ses yeux auburn remplis de curiosité prouvait son intelligence ainsi que la ligne parfaite de son nez lui conféraient toutes les qualités d'une sublime jeune femme. Mais l'espièglerie reflétée par son visage montrait qu'elle n'était pas aussi mature que les élèves de son âge.
    Elle avait été transféré assez soudainement : il y a tout juste deux mois, son père qui travaillait pour un grand fabriquant d'électronique à Sapporo avait eu une promotion et fut donc transféré au siège social. La mobilité était inhérente à un cadre moyen et elle s'y était habitué mais le printemps suivant revêtait une grande importance du fait des examens d'entrée à l'Université. C'était dur pour Yumiko d'abandonner les amis qu'elle s'était faits pour sa dernière année de lycée. Pourtant, après beaucoup d'hésitations, toute la famille avait décidé d'emménager ensemble.
    « C'est trop dangereux encore pour toi ou ton père d'être tout seul. » Ce sont les revendications de sa mère qui forcèrent la décision. Mais dès son deuxième jour au lycée Jûshô, Yumiko regrettait déjà d'avoir aussi facilement cédé face à sa mère.
    « Je n'aime pas l'ambiance. »
    Les résultats d'admission de Yumiko au lycée Jûshô avait révélé qu'elle serait dans les premiers de la classe sélectionnée. Ses parents étaient soulagés et se ravissaient des résultats de cet examen. Toutefois, cette école avait quelque chose, une froideur qui n'était pas naturelle. Son lycée de Sapporo aussi était reconnu pour ses résultats mais il n'y avait aucun genre de discrimination comme celle entre les classes sélectionnée et générale et chaque étudiant profitait plus librement de sa vie lycéenne par dessus tout.
    En revanche, les étudiants du lycée Jûshô ressemblaient à de vielles personnes ayant déjà renoncé à la vie. Les élèves de la classe sélectionnée étaient exactement comme des machines cherchant juste à digérer le programme scolaire pour réussir l'examen. Les étudiants de la classe générale eux, s'ils avaient échangé leurs uniformes contre des costumes, ils auraient semblé être des adultes déjà blasés : chacun connaissant son rôle et restant ainsi à sa place.
    En y repensant, de toute la veille, elle n'avait parlé que lors de sa présentation à la classe. Même pour Yumiko qui n'était pas "une pipelette", cela avait été insupportable. Elle n'avait néanmoins ressenti aucune hostilité. Toute la classe était silencieuse comme oppressée par une force invisible. Même pendant les pauses, pas un seul de ses camarades de classe ne lui avait dit le moindre mot.
    « Si tu es trop populaire dès le début, on te regardera et ça t'embarrassera. »
    Ce que sa mère dit en plaisantant avait blessé la fierté de Yumiko.
    La sonnerie sonna dans la cour.
    Yumiko se reprit en main, inspira à grande bouffée et marcha lentement vers l'école.

    « Dans le Mont Utsu à Suruga, je ne te rencontrerai ni dans la réalité, ni dans le rêve »
    Obara, enseignante en littérature lisait à voix haute et monocorde, un tanka (poème). Étant donné sa profession, elle était peu maquillée, mais son style et son visage étaient attirants même aux yeux des autres femmes et elle aurait pu passer pour un mannequin avec sa grande taille. Mais, même par flatterie, on ne pouvait pas dire que le contenu du cours était attrayant. Yumiko lutta longuement pour étouffer un bâillement.
    « Par le passé, ce tanka fut trois fois à l'examen d'entrée pour l'Université Keiô et deux fois pour l'Université Waseda. »
    La romance de Ise Monogatari (le recueil de poésie) est vraiment gâché. J'en suis désolée pour Ariwara Narihira.
    Alors qu'elle allait succomber au sommeil, Yumiko remarqua derrière elle un bruit régulier comme des coups sur une plaque de plastique. Tournant la tête, elle vit un beau garçon assis derrière elle à droite, sur son bureau, il frappait les touches d'un ordinateur de poche1. Il lui semblait que son nom était quelque chose comme Nakajima Akemi. Les étudiants lui avaient présenté par siège la veille mais elle ne s'en souvenait pas bien : c'était un peu flou. Parmi eux, seul Nakajima attira l'attention de Yumiko pendant la présentation par l'enseignant. Son profil et son nom assez féminins lui avaient fait une forte impression.
    Il travaillait vraiment en marge de la classe. Yumiko se sentait assez proche de ce camarade de classe. Il ne semble pas être en train de jouer, il écrit peut-être un programme. Il respira un bon coup en se redressant et leva quelque peu la tête. Ses yeux en amande rencontrèrent soudain ceux de Yumiko.

    Il semblait que le succès de son expérience d'invocation d'un démon avait radicalement altéré la nature humaine de Nakajima ; ou bien la nature démoniaque présente depuis le début en Nakajima avait repris le dessus et l'avait consumé. Il y a seulement deux mois, sa beauté n'émanait que de la timidité mais aujourd'hui il dégageait une forte aura de pur ego. Mais ce ne fut pas sa présence éblouissante qui impressionna Yumiko quand elle croisa pour la première fois le regard de Nakajima.
    C'était comme une sensation de déjà-vu.
    Je n'ai pas attention hier mais j'ai le sentiment de l'avoir déjà rencontré. On dirait le vestige d'un passé lointain. Mais pourquoi ? Le corps de Yumiko fut traversé par un torrent de sentiments, ressemblant à une peur ancestrale.
    Nakajima ne manifesta aucun intérêt envers Yumiko en la voyant et recommença à taper avec rythme au clavier. Yumiko se sentait perdue comme dans une vallée profonde.
    « Que regardez-vous, Mlle. Shirasagi ? »
    La voix assez irritée de Obara ramena Yumiko à la réalité. Le tanka écrit à la craie blanche au tableau noir avait été annoté en rouge et en jaune.
    « Veuillez nous expliquer ce que signifie "Utsutsu" dans ce tanka. »
    Yumiko sentit sur elle les regards de tous ses camarades de classe. Seul le bruit monocorde de Nakajima frappant sans gêne sur son clavier résonnait dans la pièce.
    « Oui, il indique le nom du lieu, Uzu et signifie également lui-même, réalité. »
    Sa voix était assez hésitante. La question d'Obara elle-même n'avait aucune difficulté pour Yumiko qui souhaitait intégré une faculté de lettres.
    « Bien joué Mlle. Shirasagi. Mais même ce que dit l'enseignant est utile parfois. »
    L'expression d'Obara s'adoucit un peu avec ce pique ironique. La tension momentanée disparut et le sourire d'Obara poussa les étudiants mâles à rire. Yumiko avait l'impression que toute la classe se moquait d'elle. La sonnerie indiqua la fin du cours.
    « Attendez, professeur. »
    Quelqu'un arrêta l'enseignante juste avant qu'elle ne quitte la salle. C'était Nakajima. Obara se tourna avec une agitation évidente. L'enseignante aurait-elle peur de Nakajima ? Sans même se lever de son siège, Nakajima continuait à jouer avec les touches de son ordinateur de poche.
    « Professeur, vous viendrez ce soir comme prévu, n'est-ce pas ? »
    Sa voix était faible mais pénétrante. Le visage d'Obara sembla rougir.
    « D'accord. Dans la salle de CAI, n'est-ce pas... »
    Sa voix était rauque comme si elle venait d'avaler quelque chose de travers. Souriant légèrement, Nakajima agita légèrement la main. Yumiko regardait discrètement la scène, Nakajima donnait l'impression d'un maître disant à son chien : « C'est bien, tu peux t'en aller. ». Les autres élèves attendaient le cours suivant comme si de rien n'était. Mais contrairement aux autres, elle avait tout le mal au monde pour garder l'air naturel.
    Sa curiosité avait été titillée. Yumiko alla avec détermination devant le bureau de Nakajima.
    « Hey, tu es bien Nakajima... »
    Elle ne savait pas exactement ce qu'il fallait dire, elle s'était trop précipitée. Nakajima leva la tête et la regarda d'un air douteux. Ces yeux cachant un air démoniaque attirèrent toute l'attention de Yumiko et son sentiment de déjà-vu s'accentuait d'autant plus. J'ai le sentiment de t'avoir déjà rencontré quelque part. Je me demande pourquoi. Mais ce genre de question aurait sûrement embarrassé Nakajima, Yumiko ne savait pas comment gérer ce genre de nouveau sentiment.
    « Tu sais... »
    Nakajima plissa les yeux comme pour railler un enfant et ouvrit la bouche.
    « Il me semble qu'il vaudrait mieux que tu m'ignores. »
    Il parlait d'une voix froide.
    « C'est différent. Je... »
    Avec cette réponse, Yumiko ne savait plus quoi répondre. Derrière, un étudiant à l'aspect robuste faisait des mimiques et des signes de la main lui signifiant qu'elle devrait le laisser tranquille. Après le son de la cloche, le professeur de physique du deuxième cours se tenait debout sur l'estrade.
    Tu peux m'ignorer si ça te plait. Mais je le saurai. Yumiko retourna à sa place en se mordant la lèvre inférieure avec ses dents bien formées.

    À 7H du soir, Yumiko se cachait derrière l'école pour observer la salle de CAI. Mêlé à l'air chaud, un petit insecte volant l'ennuyait. À travers les nuages, la pleine lune paraissait de temps en temps et éclairait faiblement le bâtiment annexe contenant la salle de CAI dans le crépuscule. Je me sens idiote de jouer au détective à mon âge. Yumiko sourit amèrement en observant la salle vide de CAI. Elle se demanda pourquoi elle était là.
    Elle était sûre que Nakajima avait dit « ce soir ». Pourquoi au juste aurait-il appelé Obara dans la salle de CAI en pleine nuit ? De plus, Obara le savait très clairement. Yumiko se rappelait des pas fébriles d'Obara comme ivre quand elle avait quitté la salle de cours. Néanmoins, peu importe ce que Nakajima pouvait faire avec l'enseignante, cela ne la regardait pas.
    Serait-ce une histoire d'amour ? Cette réponse serait trop simpliste. Oui, c'est impossible. Elle devait bien reconnaître que Nakajima avait un charme unique. Mais Yumiko sentait qu'entre eux il y avait quelque chose d'une tout autre dimension qu'une simple histoire d'amour ou de haine.
    Ce qui ressemblait à une ombre passa dans les couloirs. Sans qu'elle ne s'en rende compte, l'horloge indiquait déjà 9H. Yumiko raidit son corps sous la tension. La salle de CAI s'éclaira alors que l'on voyait à travers la vitre, plusieurs personne y pénétrer. Mais, alors que le cœur de Yumiko palpitait, l'ombre d'un grand homme s'approcha de la fenêtre et tous les stores furent bientôt baissés.
    Yumiko décida de faire le tour de l'école.

    Obara regardant nerveusement de tous les côtés posa sa main sur la poignée. La salle de CAI était éblouissante. Trois étudiants l'invitèrent à l'intérieur. Tous habillés et la tête recouverte de noir, l'un d'eux tenait respectueusement un plateau en argent et les deux autres avaient respectivement un chandelier et une épée.
    « Allez, entrez. »
    Assis au centre, Nakajima se leva doucement. Le visage d'Obara s'adoucit quelque peu. Les ordinateurs qui le jour occupés la pièce avaient été poussés et un fauteuil en cuir occupé le centre de la pièce. Il était étrange : des sangles pour attacher la personne s'y trouvant au niveau des pieds, des genoux et du tronc le faisait ressembler à une chaise électrique.
    « Commençons tout de suite. »
    L'œil de Nakajima commençait à briller d'une lueur étrange. Autour du fauteuil, sur le sol se trouvait un cercle séparé en douze parties comme un horoscope.
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    Il y avait en quatre endroit ces symboles en rouge sombre de la taille d'un poing.
    « Parfait, éteignons les lumières et allumons les candélabres. »
    Les trois étudiants suivaient aveuglément les ordres de Nakajima. Comme écrasée par la pression et l'obscurité, Obara s'agenouilla devant Nakajima. La main blanche et translucide de Nakajima caressa la joue rouge d'Obara.
    « Maintenant, mettez-vous à l'aise. Dans quelques minutes, le démon Loki arrivera. Loki est un démon reconnu pour sa beauté et sa ruse, très approprié pour vous, professeur... »
    Dans les oreilles d'Obara, la voix de Nakajima était pesante. Sa main glissa doucement de sa joue à sa nuque.
    « Je vais bientôt lancer l'ordinateur hôte. Ne vous inquiétez pas. Je suis sûr que vous satisferez le démon, professeur. »
    Laissant Obara tremblant les yeux fermés, il alla entrer une commande au terminal. De l'autre côté du mur de verre, la bande magnétique commença lentement à tourner. Nakajima prit alors son ordinateur de poche, ses doigts coururent sur le clavier. Une brume blanche apparut de l'écran et grossit alors qu'elle passait la porte. Le rugissement d'une bête résonna dans tout le couloir, faisant trembler les entrailles de tous. C'était la bête digitale Cerberus. Nakajima l'avait appelée et matérialisée des ténèbres afin d'être le gardien de la cérémonie de ce soir.
    Les trois étudiants conduisirent Obara vers le fauteuil. Ils se servirent des sangles pour attacher fermement les bras et les jambes d'Obara dont la tension faisait vibrer la poitrine.
    « Maintenant, régulez votre respiration. Concentrez-vous pour appeler le démon depuis le monde Atziluth. »
    Click, click.
    Le bruit du lecteur de disques d'un terminal impatient résonna dans la pièce.
    « La Lune et Mars s'opposent, ainsi que Pluton et le Soleil, formant ainsi la Grande Croix brillant dans la cieux. C'est la nuit idéale pour invoquer un démon. »
    Nakajima prit une sorte de casque venant de la salle des machines et le mit sur la tête d'Obara. C'était un casque modem pour les ondes cérébrales. Il convertit celles des humaines en signaux numériques créant une interface qui permet d'interagir directement avec l'ordinateur. Deux câbles rouge et noir sortaient à l'arrière du crâne, le rouge se connectait à l'ordinateur hôte et le noir à un des terminaux. Nakajima entra une commande au terminal et la rotation de la bande magnétique s'accéléra.
    Le corps d'Obara tremblait peu à peu alors que sa conscience se mélangeait déjà avec quelqu'un dans l'ordinateur hôte. Une odeur âcre de musc sortie de nulle part enveloppa son corps. Les trois étudiants qui observaient la cérémonie avec un regard détaché commencèrent à afficher une expression de crainte.
    « Yod, Heh, Vav, Heh »
    De la salle des machines, on entendit une faible voix étouffée.
    « Ah »
    Obara lâcha un cri et commença à remuer son corps. Ses yeux s'ouvrirent en grand sous l'effet de la peur alors qu'elle continuait à hurler de manière intermittente. Tordant ses membres, Obara fit se soulever le fauteuil alors que les câbles s'entortillaient. Du sang frais coulant d'un de ses poignets y tâcha la sangle. Mais sa panique fut bientôt terminée.
    Son expression s'adoucit et Obara ferma les yeux. Bien que du sang coulât encore de la lèvre qu'elle avait mordue, son visage affichait un sourire.
    « Tu as réussi à t'emparer d'Obara, Loki. Que comptes-tu en faire désormais ? »
    Nakajima examinait l'écran de l'ordinateur connecté au casque modem. L'esprit et les sens numérisés d'Obara fut invité dans le monde numérique que Loki avait créé. Les douleurs précédentes causées à Obara devait être dues à une sorte de rejet temporaire lors du contact entre son système nerveux numérisé et celui du démon.
    L'écran affichait les images du monde numérique captées par le nerf optique d'Obara. Soudain, derrière la porte, le hurlement de Cerberus résonna dans tout le couloir. L'étudiant robuste tenant une épée se dirigea vers la porte en réponse à un clin d'œil de Nakajima.

    Quand Obara est entrée dans la salle de CAI, Yumiko, depuis l'arrière de l'école s'était faufilée dans le couloir. Elle avança lentement se fiant à la lumière de la lune reflétée dans le linoléum. Des ouvertures dans les stores d'où la lumière avait disparu, s'échappait la faible lueur des bougies.
    Arrête. Rentre, prends une douche et oublie tout. Elle se parler à elle-même d'une voix urgente. Mais ce soir, c'était une autre personne dans son corps. De quoi as-tu si peur ? C'est l'occasion parfaite pour connaître la véritable nature de Nakajima. Comme toutes les filles de son âge, Yumiko avait suivi une autre voix. Elle entendit quelque chose dans la salle de CAI, comme un sanglot, un cri lointain.
    Prudente, Yumiko ralentit son pas. Dans sa poitrine, son cœur battait à vive allure. À ce moment-là, sans prévenir, quelque chose sortit brusquement de l'obscurité et s'approcha lourdement jusqu'à lui faire face. La lune sortant des nuages révéla progressivement ses contours. La gueule de la bête de proie faisait la moitié de son corps et deux crocs la déformait à chaque extrémité. C'était la bête digitale Cerberus. Ses yeux comme des flammes dans la nuit fixaient Yumiko. Les antennes métalliques près de ses oreilles remuaient. La bête était désormais pleinement éclairée par la lune. Son corps était parcouru de rayures et sa lourde queue d'écailles de serpent.
    Respirant et envoyant une forte odeur sur Yumiko pétrifiée, la bête ouvrit lentement la gueule. De derrière ses crocs, ses yeux comme des flammes scrutaient Yumiko. Soudain, la bête rugit. Cela souleva puissamment le ventre de Yumiko. S'évanouissant, elle reconnut vaguement une ombre noire sortir de la salle de CAI après en avoir ouvert la porte.

    La chaleur et un halètement intermittent ramenèrent Yumiko à elle. Elle ne sentait que le froideur d'une de ses joues, elle était en effet allongée au sol. Autour d'elle, tout était étrangement sombre.
    Mais oui, j'ai été attaquée par ce monstre dans le couloir... La vue soudaine d'Obara attachée au fauteuil effraya Yumiko qui sursauta. Un casque étrange recouvrait sa tête et sa respiration était rapide et forte. Quelqu'un attrapa soudain son épaule droite.
    « Takai... ? »
    C'était Takai, un de ses camarades dont le visage lui avait été présenté. Mais Yumiko ravala ses paroles. Elle réalisa que derrière ses lunettes, les yeux de Takai était vide. Et que veulent dire ces robes ? Yumiko avait déjà remarqué les deux autres étudiants portant cette même robe et agissant à l'instar de Takai comme des somnambules.
    Heureusement le monstre semblait avoir disparu; ou bien n'était-ce qu'un cauchemar ?
    « Ah... aaah... »
    La voix haletante augmenta sensiblement. La poitrine d'où venait cette voix calma Yumiko.
    « C'est la salle de CAI ?... »
    Le feu des bougies, les étranges symboles au sol et le sourire froid sur le visage inquiétant de Nakajima... Le professeur Obara commença à remuer son corps et continua.
    Yumiko allait soudain se lever. Mais, le bras puissant de Takai maintint son épaule.
    « Que se passe-t-il ici ? Que faîtes-vous au professeur ? »
    Sa voix cria pour la première. Nakajima leva lentement la main pour rappeler Takai. Son bras robuste et malhabile lâcha l'épaule de Yumiko.
    « Shirasagi Yumiko...  n'est-ce pas ? Pourquoi ne viendrais-tu pas par ici ? La vue est très intéressante. »
En se levant, Yumiko remarqua que l'ourlet de sa jupe avait été déchiré en un endroit comme si un chien l'avait mordue. Après tout, j'ai vraiment été attaquée par un monstre.
    Nakajima montra à Yumiko l'écran de l'ordinateur auquel étaient connectés les câbles sortant du casque d'Obara. À l'écran était projeté l'image de la sculpture grecque en bronze d'un jeune homme. Non, ça ne pouvait pas être une sculpture. Cette image d'une beauté divine se tortillait calmement comme si on lui avait insufflé la vie. S'afficha alors un gros plan du visage et de la poitrine du jeune homme. Son visage cachait une sagesse hors de portée des hommes et ses yeux de jais semblait engloutir tout ce qu'ils observaient tel un trou noir.
    « C'est le démon Loki. »
    La voix de Nakajima se fit entendre dans ses oreilles.
    « Ce n'est qu'une image de synthèse, non ? »
    Les yeux de Yumiko restaient fixés sur l'écran.
    « Je serais excellent si j'arrivais à imaginer et à concevoir un démon aussi réaliste. C'est un vrai démon. Mais il est normal que tu ne le crois pas. »
    L'écran dévoilait la poitrine de Loki bougeant lentement. Cette poitrine noire qui luisait était étroitement recouverte d'écailles. Yumiko réalisa soudain que les halètements d'Obara et les mouvements périodiques de Loki étaient synchrones. L'instant d'après, elle réalisa ce que signifiaient ce souffle rapide.
    « Exact. Le professeur Obara prend du bon temps avec Loki dans son monde numérique. »
    Nakajima cracha le morceau. Obara atteignit bientôt l'orgasme. Son chemisier déchiré laissait paraître de la sueur sur sa poitrine palpitante. Tout le corps de la femme semblait avoir accepté le démon invisible. Yumiko remarqua alors une brume bleue aux alentours de sa poitrine. Tandis que sa densité augmentait, une odeur putride intolérable agressa ses narines. Se retournant, elle vit le visage de Nakajima affichant une confusion évidente.
    Il courut prendre son ordinateur de poche et s'agenouilla face à Obara tapant sur les touches tout en agitant le capteur autour de cette brume. Obara hurla. La brume bleue s'évanouit laissant le corps d'Obara alors qu'elle s'évanouissait également.
    Nakajima laissa s'échapper un soupir de soulagement. Sur son visage, Yumiko vit le déclin évident de sa grande confiance.

    « J'ai pu invoquer un démon grâce à un ordinateur. Ce n'est pas si surprenant : la magie est avant tout une science dotée d'une grande structure logique. Mais, l'invocation du démon nécessitait la simulation de centaines de milliers de variables, ce qui eût pris toute la vie d'une personne de par sa complexité, sans néanmoins parvenir au résultat. Ainsi, les recherches se seraient poursuivies encore en secret pendant plusieurs générations ; c'est une coïncidence miraculeuse si j'ai pu entrer en contact si limité soit-il avec un démon. Mais si cela est une simulation énorme pour la main de l'homme, avec un ordinateur ce n'est plus vraiment un fardeau. J'ai bien réussi à créer un programme pour invoquer un démon depuis les ténèbres. »
    Le ton de Nakajima était serein comme un monologue.
    Quand la salle de CAI fut complètement rangée, on eût du mal à croire qu'un instant plus tôt, cette cérémonie lugubre s'était déroulée. Takai et les autres sortirent sans montrer leurs visages en portant Obara toujours évanouie. Seuls Yumiko et Nakajima restaient, comme absents, ils se faisaient face sous les lumières de l'éclairage.
    Le visage Nakajima, de retour dans son uniforme, ressemblait de manière inattendu au lycéen de 17ans qu'il était. En observant son visage, même après cette incroyable expérience hors du commun, Yumiko n'arrivait pas à croire à son monologue.
    « Mon programme était parfait. Parmi tous les habitants des ténèbres, j'ai été surpris de voir que Cerberus ressemblant à un animal pouvait être matérialisé même avec un ordinateur de poche. Mais un démon plus puissant a beaucoup plus de données à traiter. Quand il s'agit d'un démon aussi puissant que Loki, toute la capacité de l'ordinateur hôte à pleine puissance est nécessaire pour le numériser à l'intérieur. Même pour moi, Loki était très imposant à invoquer. Grâce aux écrans d'ordinateur, Loki peut hypnotiser les gens. Il a mis toute l'école à mes pieds désormais. Même les imbéciles de la classe générale et les enseignants me respectent du fond de leurs cœurs. Il a touché un point sensible, n'est-ce pas ? Le seul prix que j'avais à payer, c'étaient des sacrifices pour Loki. Mais comme on l'a vu, cela n'arrive que dans le monde numérique. »
    Nakajima parlait tout seul. Même la présence de Yumiko lui était sortie de l'esprit. Mais contrairement à ses paroles, le doute régnait encore dans son esprit.
    Je n'aurais jamais imaginé une telle chose.

    Nakajima n'était pas magicien. L'eût-il été, lorsqu'il avait invoqué le démon, il aurait établi un contrat précis sur la durée et l'objet. Toutefois, Nakajima avait été négligent en effet. Quand Loki transforma Kondo en morceau de viande sanglant, Nakajima eut l'illusion d'être aux commandes. Loki avait une force gigantesque. Il implanta dans l'inconscient des élèves et des enseignants un profond respect envers Nakajima : les hommes le suivaient et les femmes étaient séduites. Pour un lycéen qui n'avait jusqu'alors eu aucun pouvoir, cela semblait être un plaisir suprême.
    Loki réclamait des femmes en sacrifice. Les femmes offertes à Loki hurlent, leurs corps s'agitent et elles finissent par atteindre l'orgasme. Nakajima ne pouvait pas nier que dans son cœur il éprouvait un plaisir sadique dans le viol libre du corps de ces femmes. Mais Nakajima voyait ces évènements comme sans conséquence et se passant dans le monde virtuel.
    Loki ne pouvait pas sortir de l'ordinateur. On ne pouvait pas traiter la gigantesque quantité de données formant Loki à moins de n'utiliser le plus grand ordinateur au monde. Loki quant à lui ne pouvait agir que dans les limites du programme développé par Nakajima. Mais était-ce vraiment sûr ? En effet, quelle était la nature exacte de la brume s'étant accrochée à Obara... ?
    « Tu as peur de quelque chose, n'est-ce pas... »
    C'était une voix de femme. Nakajima se rappela qu'il avait parlé à Yumiko. Je n'arrive pas à croire que j'ai parlé. Nakajima fixait avec détermination Yumiko face à lui. Les yeux de celle-ci brillaient puis ils virèrent au rouge. Un instant plus tard, Nakajima s'était envolé dans un monde fantastique.

    Des rochers rouges-bruns sur lesquels ne poussait aucun brin d'herbe perçaient et déchiraient les nuages montant jusqu'aux cieux. Le ciel stagnait lourdement comme une fine encre alors qu'un vent humide soufflait à travers la vallée. Un chemin abrupt et sinueux se dessinait, serrés des deux côtés par les rochers. Un jeune homme arpentait ce chemin en expirant comme s'il crachait du feu à travers ses dents serrées. Il était vêtu d'une robe en lin sans manche. Ses longs cheveux tombaient sur sa poitrine. Il errait sans doute dans un monde mythique. Mais le visage du jeune homme put être aperçu et il ne faisait aucun doute que c'était celui de Nakajima.
    Il essuya la poussière sur sa joue ainsi que sa sueur mais seul, il ne pouvait y parvenir.
    « Mon amour, pourquoi m'abandonnes-tu, Izanagi, pourquoi... »
    Une voix emplie de tristesse atteignit les oreilles du jeune homme... Il ralentit involontairement. Sa tête se tournait d'elle-même. Mais il se mordit férocement les lèvres, regarda la route et se remit à courir. Une femme poursuivait ce jeune homme dont les pieds saignaient à cause d'éclats de roches sur le sentier. Ses bras blancs effilés étaient désespérément tendus en avant comme pour réduire la distance entre elle et le jeune homme. Ses cheveux noirs comme l'ébène flottaient au vent, et sa voie désespérée filait en arrière.
    Son visage apparaissant sous ses cheveux s'était dissout sous l'effet de la putréfaction et ses orbites étaient pleinement exposés. Des asticots se contorsionnaient entre sa chair et ses os. Lorsque la femme haletait, des larmes de chair tombaient de ses joues. Ses dents blanches exposées par des lèvres pourries se serraient avec frustration et regret.
    Alors, un éclair violet frappa un rocher devant le jeune homme qui se sépara en deux laissant ainsi sortir quelqu'un. C'était une femme à la peau verte comme une grenouille. Elle étendit ses bras pour bloquer le chemin du jeune homme.
    « Yomotsu-Shikome !
    - Arrête-toi... » dit-elle d'une voix immonde et erratique.
    Sa courte gorge verte se gonfla anormalement. Le jeune homme sortit un peigne de ses cheveux, cassa plusieurs de ses dents rouges et les lança vers la femme. Une d'elle se logea dans sa poitrine nue.
    « Gyah... »
    Son cri fit trembler toute la vallée, et son corps hideux laissa s'échapper du sang qui tâcha les roches. D'innombrables roches petites et grandes tombèrent sur son chemin. La voix triste atteignit à nouveau les oreilles du jeune homme qui contournait le cadavre de Yomotsu-Shikome.
    « Je t'en prie, attends, Izanagi... »

    « Nakajima... ? »
    Levant son visage, il vit les yeux suspicieux de Yumiko l'examiner. Ses yeux étaient pleins de peur mais également de pitié.
    « Bon, tu devrais partir maintenant. »
    De brefs mots enchaînés sortirent de sa bouche. Yumiko lui obéit. Nakajima demeura immobile jusqu'à ce que ses pas disparaissent derrière la porte.
    « Il faut que je découvre la nature réelle de cette brume. »
    Murmurant pour se donner du courage, il alluma le modem pour se connecter à l'ordinateur hôte de l'ISG.
    > HELLO NAKAJIMA    (Bonjour Nakajima)
       WHAT'S TODAY ?    (Qu'y a-t-il aujourd'hui ?)
    Après avoir vu le message de l'intelligence artificielle Craft, Nakajima changea le lecteur de disques de l'ordinateur pour un qu'il avait personnalisé et l'enclencha. Il contenait un dispositif de traduction automatique avec une base de données incorporant plus de cinquante milles termes appartenant au domaine de la sorcellerie. C'était un travail de très longue haleine de Nakajima.
    > Une vapeur non-identifiée s'est créée lors de la cérémonie. Je t'envoie une estimation de sa forme et de sa composition. Essaie de l'analyser pour moi.
    Les données contenues dans l'ordinateur de poche furent envoyées à travers la ligne téléphonique dans le Massachusetts. Une minute... deux minutes, Nakajima tapotait impatiemment le bureau avec ses doigts. L'appareil de traduction entre le périphérique et la ligne diminuait la vitesse de transmission. Cinq minutes plus tard les résultats de l'analyse lui furent enfin transmis.
    > Sa densité en ectoplasme est cinq fois supérieure à la normale. À en juger par ses conditions d'apparition, la probabilité que ce gaz soit Loki est très forte.
    > Je n'ai pas conçu de données permettant à Loki de prendre une forme matérielle. Et d'abord, les ordinateurs de CAO ne pourraient pas gérer une simulation aussi importante que celle nécessaire pour matérialiser Loki.
    > Je ne peux pas fournir une réponse claire à partir des données qui m'ont été fournies. Mais, le démon invoqué dans l'ordinateur est une forme d'intelligence artificielle bien supérieure. On ne peut pas exclure la possibilité qu'il ait trouvé un moyen de se matérialiser lui-même.
    > THANK YOU CRAFT    (Merci Craft)
    Envoyant son dernier message, il coupa la liaison.
    Ce n'était pas censé se produire. De toute manière,je vais devoir travailler sur une nouvelle technologie pour maintenir Loki sous mon contrôle.
    Nakajima observait le ciel comme à son habitude.


    NOTES DU CHAPITRE
    1. Ordinateur de poche    C'est un ordinateur portable. Grâce à sa batterie, on peut s'en servir à l'extérieur. Nakajima en possède un de ce type.

mercredi 3 mars 2010

Megami Tensei : Prologue

Prologue


    Attendant la fin des cours, un grand étudiant pénétra avec fracas dans la salle de classe.
    « C'est toi Nakajima ? »
    Il frappa son bureau comme pour le menacer.
    « Oui, c'est moi... »
    S'efforçant de réprimer un tremblement, Nakajima regarda son adversaire dans les yeux. Il s'agissait de Kondo Hiroyuki, le capitaine du club de karaté et également le chef du lycée Jûshô parmi les étudiants. Il avait déjà forcé de nombreux étudiants à changer de lycée par des moyens violents, juste parce qu'ils s'étaient opposés à lui.
    Mais qu'ai-je bien pu faire ?
    Un fou rire éclata derrière lui ; se retournant, il intercepta un regard séduisant et plein de malice tel celui d'un chat. Il s'agissait de Takamizawa Kyoko de la même classe que lui.
    À cet instant-là, Nakajima comprit tout.
    « Attends ! »
    À peine eut-il parlé qu'un coup de poing volait dans son plexus solaire.
    « Uh ! »
    Sans même pouvoir hurler, il posa les deux mains au sol et à l'endroit où il s'accroupit, les coups de pied bas de Kondo s'abattirent : deux coups à la poitrine et à l'abdomen. Les coups étaient parfaitement jaugés pour causer des dégâts sans faire s'évanouir la cible. Même si c'était un étudiant, il était professionnel du combat.
    Les camarades de classe, de peur d'être impliqués, quittaient la pièce un par un.
    « Pourquoi ? Je n'ai... »
    Un pied s'abattant sur sa bouche le fit taire. De la salive et des larmes coulèrent ensemble le long de sa bouche.
    « Tu ne manques pas d'audace pour faire des avances à Kyoko. Et voilà ce que tu mérites. »
    Kyoko qui s'amusait terriblement à regarder Nakajima se faire passer à tabac s'approcha doucement de lui pour lui frapper la lèvre supérieure avec son doigt.
    « Tu ressembles à une femme, mais tu as tout de même osé essayer de m'embrasser.
    - Menteuse. Je... »
    Mais le cri de Nakajima secoua légèrement sa lèvre meurtrie et le foudroya. Kondo le releva et le soutint pour le frapper à nouveau dans le plexus solaire. Nakajima qui était soutenu n'eut pas non plus la possibilité de s'évanouir. Les yeux de Kyoko devinrent humides avec l'excitation et son rire  hystérique s'accroissant.
    Putain, je vais te tuer.
    Une lumière de rage brilla un instant dans les yeux de Nakajima.
    « Qu'est-ce que c'est que ce regard ? »
    Kondo lança un féroce rugissement. Il était semblable à la voix du perdant qui trésaille momentanément, ce qui l'énerva d'autant plus.
    « Hey, ça suffit ! »
    La voix de Kyoko essayait de l'apaiser. C'était une voix cherchant habilement à atteindre son but.
    « On t'a donné un sursis. »
    Kondo tordit ses lèvres en un sourire. Un dernier poing vint s'écraser sur la joue de Nakajima qui baissa lâchement la tête.

    « Asseyons-nous. »
    Takai Kenichi de sa classe, montra de son menton deux sièges vides à côté.
    « Oh... oui. »
    Nakajima fixa ses yeux au loin en se suspendant à une poignée. Du lycée Jûshô dans Kunitachi jusqu'à Nishiogikubo, il y avait huit stations de métro. Cela faisait une détente de vingt minutes.
    Chaque année, le lycée privé Jûshô était reconnu comme une école prestigieuse par son taux de réussite à l'examen d'entrée à l'Université de Tokyo. Cependant, une personne connaissant bien le fonctionnement interne de l'école avait un regard perplexe sur la politique de stratification extrême des étudiants. Il y avait une classe sélectionnée dont les installations, le curriculum et l'enseignement étaient bien meilleurs et qui était donc favorisée injustement face à une classe générale regroupant les autres élèves. La classe sélectionnée contenait 20 pour cent des élèves et était l'objet de la jalousie de la classe générale. Cette jalousie causait de nombreuses violences scolaires, avec cette stratification en deux classes, ces dernières étaient peut-être inévitables.
    Nakajima et Takai faisaient partie de la classe sélectionnée. Nakajima était fin et s'il avait échangé son uniforme pour celui d'une fille, il serait passé pour une charmante jeune fille. L'apparence de Takai contrastait avec celle de Nakajima, formé au Judo depuis le collège, il était vigoureux, dur et avait d'épais doigts. On découvrait cependant un visage mignon de bambin lorsqu'il mettait ces lunettes à monture noire.
    « Néanmoins, aujourd'hui Kondo était pire que d'habitude.
    - Quand il est face à une femme, il redouble d'énergie. »
    Nakajima souleva un sourcil et répondit négligemment.
    « Et pourquoi quelqu'un comme Kyoko se trouve dans la classe sélectionnée ? Et puis tu ne serais jamais allé vers Kyoko de toute manière.
    - C'était le contraire... en réalité.
    - C'est donc parce qu'elle a été rejeté. »
    Takai hocha la tête montrant qu'il avait compris. Beaucoup de lycéennes craquaient pour Nakajima, mais personne n'avait encore pu percer ses défenses. Takai en déduisait que Nakajima était extrêmement difficile en matière de filles.
    Le train quittait la station Musashisakai.
    Takai observa Nakajima de profil pendant un long silence. Au sein de la classe sélectionnée, Nakajima n'était pas le meilleur possible. Contrairement à Takai qui était bon dans toutes les matières, Nakajima se révélait être un génie en mathématiques et en sciences. Dans les arts libéraux, son seul domaine de prédilection était l'histoire du monde. Après, ses performances ne différaient pas de celles de la classe générale. Ce n'était pas non plus un athlète. Cependant, en matière d'informatique nul ne pouvait rivaliser avec lui, les enseignants y compris. Mis à part le lycée, on ne peut lui trouver aucun rival dans tout le Japon. pensait Takai.
    Les jeux vidéos que Nakajima faisaient en seulement quelques jours étaient fantastiques. Après avoir joué aux logiciels de Nakajima, les jeux du commerce étaient fades. Dans la salle de CAI1, parfois Nakajima semblait fou quand il regardait fixement l'écran tout en tapant au clavier. Si je suis brillant, lui est semblable à un génie. Takai inclina la tête dans un signe de confirmation et fixa son regard sur le paysage extérieur.
    « Des démons ? » murmura Nakajima à cet instant-là.
    « Hein ?
    - Non, rien.
    - … »
    Alors que Takai bougeait les lèvres pour dire quelque chose, le train s'arrêta à la station de Nishiogikubo.
    « À plus tard. »
    Le dos arrondi, avec une expression pensive sur le visage, Nakajima descendit les escaliers de la station.
    « Putain, mais à quoi pense-t-il ? »
    Tournant la tête et haussant ses épaules, Takai prit son cartable et s'affaissa sur le siège pour deux.

    Derrière le quartier commercial, des pancartes "À vendre" ornaient un immeuble d'appartements récemment construit. Nakajima marchait le dos voûté tout en agitant rapidement les lèvres. On aurait pu le prendre pour un lycéen obsédé par la mémorisation de quelque cours. Mais les passants qui saisissaient une partie de ce qu'il disait le regardait, ahuris. Ce qui sortait de ses lèvres n'était pas quelque chose qu'on eût cru pu entendre de la part d'un lycéen, comme un mantra maléfique (sorte de prière utilisée pour se concentrer lors de méditation).

    Une branche de cerisier dépassant d'un mur lui griffa la joue. Nakajima continua à marcher les yeux fixés au sol sans s'en préoccuper. Levant finalement les yeux, il se tenait devant un grand bâtiment extrêmement visible.
    Introduisant sa clé électronique dans la serrure cachée, les portes automatiques en verre renforcée coulissèrent dans un bruit sourd. L'entrée était en marbre canadien luxueux, paraissant tout de même artificiel. Nakajima entra et prit une grande inspiration tout en se redressant. Il prit l'ascenseur et pressa le bouton du trentième étage. Le changement de pression réveilla la douleur dans tout son corps et lui rappela les évènements désagréables de la journée.
    Sur la porte de l'appartement 1302, se trouvait un panneau en cuivre sur lequel était gravé "NAKAJIMA". Il pressa la sonnette mais il n'y eut aucune réaction. Soupirant, Nakajima fouilla ses poches pour trouver la clé. Il ouvrit la porte, jeta ses chaussures au hasard et se dirigea vers la salle de bain.
    La blessure de la lèvre du visage réfléchi dans le miroir avait gravement enflé et était très désagréable à voir. Sa joue gauche présentait également une ecchymose jaunâtre. Nakajima regarda longuement son visage dans le miroir, ouvrit le robinet et se rinça le visage avec ses deux mains.
    S'avachissant sur le canapé du salon, il aperçut une note sur la table basse.
    « Je rentrerai tard. Il y a un plat à réchauffer au micro-ondes... »
    Sans même la lire en entier, il froissa la note.
    « Si c'est pour toujours écrire la même, tu devrais plutôt l'imprimer. »
    Depuis que son père avait été muté à Los Angeles pour son travail commercial, sa mère s'impliquait de plus en plus dans son travail de styliste. Récemment, il n'était pas rare qu'elle rentre en pleine nuit. Dès qu'il se souvint du visage de sa mère, sa colère augmenta. Soudain, le téléphone sonna. C'était pour sa mère de toute manière. Nakajima regarda le téléphone avec dédain et alla dans sa chambre.
    Il n'y avait pas le moindre poster dans sa chambre morne. Les trois murs bordant la fenêtre étaient presque entièrement remplis d'étagères en acier atteignant le plafond. Comme on pouvait s'y attendre de la part d'un lycée, des magazines sur les animés et des comics occupaient une place considérable, mais dans un coin de ces étagères, se trouvaient curieusement des livres bien plus sombres. Il s'agissait de livres occultes aux titres mystiques comme "Le livre de la Mort" ou "Manuscrits Pnakotiques".
    Sur son bureau en acier se trouvait un ordinateur tout équipé. À côté, il y avait un livre sur la théorie magique, "La nouvelle théorie de l'aube dorée". Sa couverture en cuir était usée à cause de nombreuses lectures.
    Nakajima tira son fauteuil et s'assit face à l'écran. Allumant l'interrupteur mural de ses haut-parleurs, la voix de David Coverdale inonda la pièce. Les doigts de Nakajima coururent sur le clavier.
    > LIST2
    Un long programme défila à l'écran.
    Comme s'ils suivaient le rythme de la musique, les bras de Nakajima bougeaient lentement. Mais ses yeux suivaient la liste du programme avec le regard aiguisé d'un chasseur de bout en bout.
    Nakajima s'intéressa accidentellement à la magie quand il eut l'occasion de lire "La nouvelle théorie de l'aube dorée". Bien que la traduction fût mauvaise, il le lut jusqu'au bout. Le monde fascinant de la magie cachait un côté honteux mais s'accompagnait d'un réalisme scientifique étrange. Relisant deux ou trois fois des passages avec soins, il avait eu comme une révélation. Il remarqua que l'informatique et la théorie magique avaient de remarquables similitudes. L'informatique et la magie étaient deux mondes qui semblaient en total désaccord.
    Cependant, on n'attendit pas la découverte de Nakajima pour que les chercheurs des deux domaines le remarquèrent, et depuis longtemps. Une de ces personnes était le professeur Charles Feed, célèbre chercheur en intelligence artificielle au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Nakajima avait rejoint son groupe, ISG (International Satanist Garden).
    Ces derniers mois, Nakajima était complètement absorbé dans l'écriture d'un programme pour invoquer les démons. Il n'était plus qu'à un pas du succès. Le cœur du programme était déjà terminé. Il ne restait qu'à ajouter quelques sous-routines3. Mais Nakajima hésitait toujours à terminer et à lancer ce programme. Si sa théorie était juste, un démon apparaîtrait vraiment. Mais il se demandait que faire d'un démon. Cependant les évènements de la journée lui avaient forgé un but très simple.
    « Désolé mais vous allez être les cobayes d'une petite expérience. »

    « Utilise les adresses 3780 à 3990 pour les pattes de grenouille. Conservez cela dans le Buffer4 et avant d'afficher le résultat, lancez l'incantation : Yod, Heh, Vav, Heh. Mais que veut dire cette incantation ? »
    Nakajima alluma son modem5, et contacta Arkham dans le Massachusetts. Il se connecta avec l'ordinateur hôte de l'ISG. La connexion établie, l'image du démon Lucifer apparut à l'écran. Nakajima appela l'intelligence artificielle Craft pour lui expliquer la situation et connaître le sens de l'incantation. Son anglais n'était pas très bon et de nombreux "?" apparurent à l'écran.
    > OK. I UNDERSTOOD     (D'accord, j'ai compris)
    Craft semblait avoir enfin compris.
    > WHAT THE SENTENCE MEANS?    (Que veut dire la phrase ?)
    > IT'S ONLY COUNTER MAYBE!    (Ce ne doit être qu'un compteur!)
    L'incantation ne semblait être qu'un compteur de temps.
    > THANK YOU CRAFT        (Merci Craft)

    Soudain, on frappa.
    « Je vous en prie. »
    Les yeux de Nakajima restaient fixés à l'écran.
    Tournant la poignée, sa mère en costume entra dans la chambre.
    « Tu as bien dîné ?
    - … »
    Les doigts de Nakajima continuaient à glisser sur le clavier.
    « Oh, qu'est-ce que tu as à la lèvre ? »
    Ses doigts s'arrêtèrent.
    « Je me suis cogné au poteau des cages au football. »
    Sa mère s'approcha. Son vernis à ongles orange se reflétait dans l'écran. Elle voulait que Nakajima entre en médecine à l'Université Keiô. Toutefois, cette insistance avait produit l'effet inverse. Petit, c'était un enfant étrangement timide et têtu.
    « Tu ne devrais pas mettre quelque chose dessus ?
    Ne t'inquiète pas, ce n'est rien, maman. »
    Nakajima frappa le clavier au hasard.
    BIP.
    Un message d'erreur s'afficha.
    Perdant son attention, sa mère renonça et quitta la chambre.

    À 3H du matin.
    « Parfait, c'est fini ! »
    Nakajima frappa ses genoux de ses mains et se leva de sa chaise.
    > RUN6
    Le lecteur de disques se mit à tourner et des caractères étranges clignotèrent à l'écran. En moins de cinq minutes cependant, ils s'arrêtèrent et un message d'erreur apparut.
    > MEMORY IS OVER    (Mémoire insuffisante)
    Soit le programme est trop long, soit le nombre de variables traitées était trop important pour la machine.
    « Pas de problème, de toute manière un seul ordinateur n'est pas suffisamment puissant pour cela. Je n'ai qu'à utiliser l'ordinateur hôte de l'école qui possède une mémoire suffisante. »
    Les yeux de Nakajima brillaient.

    Le samedi de cette semaine, à 7H du soir.
    Le professeur Iida qui était de garde, remarqua la présence de quelqu'un dans la salle de CAI et ouvrit la porte.
    « Qui est ici à une heure pareille ? »
    Un étudiant leva la tête d'un des terminaux. Sous la lumière de l'écran, son visage s'illuminait bizarrement.
    « Que fais-tu, Nakajima, avec les lumières éteintes ? »
    Le ton de l'enseignant s'adoucit. Nakajima était jalousé par les étudiants de son âge car les enseignants avaient confiance en lui.
    « Mon programme ne fonctionne pas correctement, mais j'ai presque fini. »
    La voix de Nakajima était quelque peu métallique et accordée au son des lecteurs de disques.
    « C'est bien d'être travailleur mais tu dois demander la permission pour utiliser cette salle la nuit. T'as de la chance que ce soit moi qui t'ai trouvé... »
    Lui tapant un peu sur les doigts, Iida alluma la lumière.
    « Qu'est-ce que c'est que ça ? »
    La voix affolée de Iida résonna dans la salle de CAI allumée. Nakajima était assis au centre d'une figure géométrique tracée à la craie rouge et blanche.
    « C'est un hexagramme de Salomon.
    - Un hexagramme de Salomon ? On dirait un langage assez occulte. »
    Nakajima ne prêta pas attention aux sarcasmes de Iida et ses doigts continuèrent à glisser sur les commandes de l'ordinateur. Finalement, l'ordinateur hôte situé dans la salle des machines voisine fermée par des murs en verre renforcé commença à tourner.
    « Parfait, les bug sont enfin réglés. Il est terminé. »
    Nakajima se leva face à l'enseignant. Ses yeux en amandes comme ceux d'une fille brillaient avec son sourire démoniaque. Sa blessure à la lèvre se rouvrit et du sang coula le long de sa mâchoire.
    « Explique-toi, Nakajima. Quel genre de programme fais-tu tourner sur l'ordinateur hôte. »
    Nakajima écarta une frange de ses cheveux. De sa langue mince, il lécha le sang encore frais qui s'écoulait.
    « J'ai conçu un programme pour invoquer les démons. Cet hexagramme ici sert à m'en protéger. Bientôt, un démon va apparaître. Vous feriez mieux d'entrer aussi à l'intérieur, professeur. Vous pourriez être réduit en miettes.
    - As-tu perdu l'esprit ?
    - N'est-ce pas vous qui avez perdu l'esprit ? Professeur. Regardez cette lèvre et ces blessures sur mon visage. C'est de la part de Kondo du club de karaté. Kyoko aussi est responsable. L'école laisse ces animaux sauvages sévir en toute liberté, sans prendre la moindre mesure. Les étudiants et les enseignants font comme si rien ne s'était passé dans cette classe. L'agression est évidente mais rien n'est fait. Le corps enseignants attend simplement que ces gens-là soient diplômé. S'ils ferment les yeux, cela ne fera qu'empirer. Il faut juste être patient deux ou trois ans. Mais je ne serai qu'une fois au lycée dans ma vie. Je ne les laisserai plus faire. Je vais invoquer un démon pour exterminer ces nuisibles. »
    Très agité, ses épaules montaient et descendaient accompagnant sa lourde respiration quand il parlait.
    Il y eut un petit temps mort.
    Nakajima alla lentement vers le clavier.
    > RUN
    L'écran affichait la dernière commande. La bande magnétique de l'ordinateur hôte commença lentement à se dérouler.
    « Néanmoins, se servir d'un ordinateur pour invoquer un démon est une idée remarquable. »
    Iida se força à tordre ses lèvres en un sourire afin d'atténuer la pesanteur de l'atmosphère et se mit à rire.
    « La magie et l'informatique sont extrêmement similaires. La personne ayant eu la première l'idée de l'informatique devait être familière avec les notions d'alchimie et la Kabbale. Ce n'est pas assez bien connu, mais les choses comme les incantations, les sacrifices, et les cercles de thaumaturge sont très faciles à mettre en format binaire. Invoquer un démon n'est que le transfert de la matière constituant le démon du monde Atziluth au monde réel Assiah, et la mémoire de l'ordinateur (RAM7 ) est parfaite pour effectuer cette tâche. »
    Soudain, le froid engloba Iida. Cet air froid semblait vivant, comme un serpent s'entourant autour du pauvre Iida. Il sentit une odeur fade et le sourire de Iida disparut de son visage. Les lumières clignotèrent puis la salle de CAI fut enveloppée dans l'obscurité. Seul le son des lecteurs de disques en rotation résonnait dans la pièce. Le faible gémissement d'un ordinateur se fit bientôt entendre.
    « Yod, Heh, Vav, Heh »
    Cela ressemblait à de vrais mots pour les oreilles de Iida.
    La pièce entière commença à trembler violemment comme lors d'un séisme, et des fêlures se formèrent dans les fenêtres.
    « Yod, Heh, Vav, Heh »
    Nakajima continua à taper au clavier tout en murmurant.

    > KILL!! KONDO HIROYUKI, TAKAMIZAWA KYOKO    (Tue !!! Kondo Hiroyuki, Takamizawa Kyoko)
    Pris d'une peur instinctive, Iida tendit son bras vers la prise de l'ordinateur.
    « Arrête cette folie. Si tu le souhaites, je peux faire entreprendre des actions contre Kondo et ainsi le faire renvoyer, immédiatement sans passer par le conseil de la semaine prochaine.
    - Et je tomberais également en disgrâce aux yeux des autres ? »
    Nakajima immobilisa de ses deux bras celui de Iida pour l'empêcher de débrancher l'ordinateur ; il possédait une force qu'on ne l'aurait même pas imaginé posséder normalement. Tandis qu'ils luttaient, le grondement cessa, les lumières fluorescentes s'allumèrent dans un grincement et remplirent de nouveau la pièce de lumière. L'air froid enserrant Iida disparut également.
    « Où t'en es-tu allé ? Pourquoi ne te montres-tu pas ? Démon, vas-tu m'abandonner ? »
    Hurlant, Nakajima se dirigea vers le clavier.
    > KILL!! KILL!!    (Tue !!! Tue !!!)
    Toutefois, la bande magnétique de l'ordinateur hôte cessa de tourner. Les yeux injectés de sang de Nakajima scrutaient la liste du programme jusqu'à ce qu'il se lève et erre sans but comme privé de toute son énergie vitale.
    « Mon programme était parfait. Il ne comportait pas le moindre bug8. Alors pourquoi le démon a-t-il disparu avant de se montrer ? Il aurait dû apparaître juste ici ! »
    Laissant la liste du programme ouverte, Nakajima tituba hors de la salle de CAI tel un somnambule. Fixant la scène abasourdi, Iida revint enfin à lui et éteint l'ordinateur.
    « On dirait que c'est vrai qu'il n'y a une mince frontière entre le génie et la folie. Cependant c'était un séisme très effrayant. »
    Iida murmurait en essayant d'épurer sa mémoire de cette expérience désagréable.

    Plus tard, Iida enseignait les mathématiques à la classe de Kyoko et de Nakajima dans la salle de CAI. Peut-être était-ce parce qu'il avait été là pour voir l'échec de l'invocation du démon, mais Nakajima le regardait d'un air de défiance. Avant, il eût été impensable que Nakajima agisse de la sorte. S'efforçant de l'ignorer, Iida poursuivait son cours.
    « Maintenant nous allons effectuer un examen interactif avec l'ordinateur hôte. Les résultats de ce dernier ne seront pas pris en compte. Mais par votre dialogue avec l'ordinateur, j'aimerais que vous vous familiarisiez avec vos points faibles. Commencez à entrer vos commandes dès que je vous en donnerai le signal. »
    Dans le même temps, les élèves commencèrent à frapper sur leurs claviers. Nul ne quittait son écran des yeux.
    La propagation du CAI facilite grandement le travaille éducatif. L'ordinateur hôte enregistrait chaque réponse des étudiants tandis que Iida se détendait tout en observant sa classe.
    « Yod, Heh, Vav, Heh »
    Tout à coup, comme venant des profondeurs de la Terre, une voix faible résonna et fit trembler la salle de CAI. La bande magnétique de l'ordinateur hôte commença à tourner à toute vitesse. Les écrans des ordinateurs faisaient rapidement défiler des couleurs tel un kaléidoscope. Des symboles étranges semblables à des lettres clignotèrent à l'écran : c'était de l'hébreu.
    Les étudiants n'élevèrent pas la voix et fixaient leurs écrans comme s'ils étaient possédés.
    « C'est toi, n'est-ce pas, Nakajima ? Il y a des limites à tout. »
    Le visage de Iida rougit de colère. Alors qu'il fonçait vers le siège de Nakajima, Iida tomba au sol : un étudiant du premier rang lui avait attrapé le pied. Deux autres lui sautèrent sur le dos le plaquant ainsi sur le ventre et lui bloquèrent les bras.
    « Que... que faîtes-vous ? Cessez immédiatement. »
    Iida se débattit pour libérer son cou et voir ce qui se passait. Les étudiants se levèrent de leurs sièges et errèrent les yeux dans le vague tels des zombies. Trois étudiants mâles quittèrent la salle de cours; les autres encerclèrent progressivement Takamizawa Kyoko.
    Celle-ci semblait être saine d'esprit. Le visage blafard, elle fixait les élèves qui l'entouraient. Ses yeux de félins étaient emplis de peur, ses lèvres tremblaient de bas en haut mais demeuraient fermées comme si elles avaient été cousues. Un étudiant mâle portant d'épaisses lunettes toucha la poitrine de Kyoko. À ce moment-là, comme libérée d'un enchantement, elle sauta sur le bureau.
    « Qu'est-ce qu'il y a ? Connard ! »
    Une lame de rasoir brillait entre les doigts de Kyoko.
    « Arrête Takamizawa, fuis ! »
    Le cri de Iida résonna dans toute la pièce. Kyoko jeta un coup d'œil au professeur maîtrisé et cracha. Elle savait gérer les choses et décourager les autres.
    Son rasoir décrit un arc de cercle dans les airs et les lunettes de l'étudiant volèrent. De sa joue fendue, du sang frais coula. Mais il ne vacilla même pas et, comme une machine, saisit la cheville droite de Kyoko.
    « Putain ! »
    Le rasoir lui ouvrit la tempe à plusieurs reprises puis se brisa dans son bras ensanglanté. Un autre étudiant lui saisit la cheville gauche par surprise. Les deux la tinrent par les jambes et la soulevèrent la tête en bas. Sa jupe tombant révéla ses jambes blanches.
    Kano Miyuki, une des plus belles filles du lycée avec Kyoko, s'avança, mit son visage entre les cuisses de Kyoko. Du sang sombre coula des lèvres de Miyuki et teintèrent les sous-vêtements de Kyoko qui se pencha en arrière sous l'effet de la douleur. Mais ses cris se transformèrent en un faible halètement : Miyuki l'étranglait de ses deux jambes.
    « Arrêtez. Arrêtez ! »
    Iida hurlait alors que des larmes emplissaient ses yeux.
    « Trop tard, professeur. »
    Nakajima avait une expression de joie sur son visage.
    « Guh... »
    Les deux jambes de Kyoko convulsèrent violemment deux ou trois fois. Miyuki releva la tête sans même chercher à essuyer le sang coulant de ses lèvres. Le corps de Kyoko fut lâché au sol et le cercle des étudiants se dissipa.

    Lorsque la porte s'ouvrit, les étudiants ayant quitté la pièce plus tôt avait ramené Kondo. Les trois étudiants le conduisirent, perplexe, au centre de la salle de CAI.
    « Oh mon Dieu... »
    Kondo vomit en voyant le corps inanimé de Kyoko. Les étudiants s'agglutinèrent peu à peu autour de lui.
    « Enfoirés, qu'est-ce que ça veut dire ? »
    Kondo se mit sur la défensive tout en observant du coin de l'œil les élèves le débordant. Un faible gémissement retentit. Nakajima clouait le visage de Iida au sol avec son pied.
    « Nakajima... ?
    - Kondo, fuis, tout le monde est devenu fou. »
    Iida hurla du fond de la gorge. Soudain, Kondo chargea en frappant violemment le sol de son pied dans un rugissement bestial. Toutefois, le coup de pied qui aurait dû briser la mâchoire de Nakajima finit dans le vide et son corps fut jeté au sol : au même moment, des étudiants avaient sauté sur Kondo qui distribuait des coups de poing à l'aveugle. Bien que saignant du crâne, les étudiants ne cessaient d'affluer vers Kondo, impassibles.
    « Putain... »
    Les lèvres de Nakajima se déformèrent et il éclata en fou rire. Plusieurs étudiants avaient déjà immobilisé Kondo.
    « J'avais prévu de me servir de Kyoko pour t'exécuter, mais comme tu peux le constater par toi-même elle est morte un peu plus tôt. Alors Miyuki s'en chargera à la dernière minute, tu devrais me remercier. »
    Miyuki s'approcha de Kondo, le sang de Kyoko coulant toujours le long de sa mâchoire. Son souffle chaud caressait déjà ses joues. Le couteau dans les mains de Miyuki brilla et se teinta de rouge. En même temps, la bouche et la gorge de Kondo s'ouvraient.
    Son cœur battait fort.
    Une grande quantité de sang s'écoula évidemment. Kondo ouvrit grand les yeux et enfin sa tête se plia en arrière dans un cri immonde.
    « Maintenant, professeur. »
    Nakajima s'accroupit face à Iida et observa son visage.
    « Qu'en pensez-vous, professeur ? Ma petite expérience n'a pas été un échec finalement. Ce jour-là, un démon est bel et bien apparu, mais à l'intérieur de l'ordinateur hôte du CAI.  Nous ne l'avions juste pas remarqué. Mais hier dans la salle de CAI, le démon m'envoya un message sur l'ordinateur.
    > KILL! I UNDERSTOOD    (Tuer ! J'ai compris)
    Mais il ne pouvait pas se libérer de l'ordinateur, alors il s'est servi d'une hypnose collective sur les étudiants pour réaliser mon souhait. Au fait, professeur, j'ai promis trois âmes au démon : celle de Kyoko, celle de Kondo, et celle d'une autre personne... »
    Iida hurla désespérément alors que les étudiants s'avançaient vers lui en traînant les pieds.


    NOTES DU CHAPITRE
    1. CAI    Acronyme de Computer Aided Instruction (Éducation Assistée par Ordinateur). C'est le nom générique donné à l'utilisation du système informatique à des fins éducatives. Dans le roman il y a un seul gros ordinateur (l'ordinateur hôte) pour une dizaine d'unités (PC) par lesquelles les étudiants apprennent en dialoguant avec le système hôte via les terminaux.
    2. LIST    Commande (instruction) affichant le programme.
    3. Sous-routine    Partie utilisée très fréquemment du programme de routine principal  (programme sous-jacent, tournant derrière les applications lancées) devenue un programme indépendant.
    4. Buffer    Périphérique de stockage conservant temporairement les données à l'intérieur de l'ordinateur. Il est souvent utilisé pour un traitement rapide des données.
    5. Modem    Dispositif utilisant la ligne téléphonique pour envoyer des données sur votre ordinateur. Il désigne généralement le dispositif convertissant le signal numérique en signal analogique et inversement. Comme le modem pour le cerveau convertit les ondes cérébrales ou EEG en signal numérique. Ce dernier est une invention de l'auteur.
    6. RUN    Commande pour exécuter le programme.
    7. RAM    RANDOM ACCESS MEMORY Périphérique de stockage dans l'ordinateur gérant librement l'entrée/sortie. La technologie a configuré l'environnement magique où un démon peut facilement attendre, comme la RAM qui est un conteneur pour ce démon.
    8. Bug    Erreur au sein d'un programme ou d'un système. Le debug (débogage en français) sert à supprimer les bug (bogue en français).

Megami Tensei : Préface

DIGITAL DEVIL STORY

MEGAMI TENSEI

(Réincarnation de la déesse)

Aya NISHITANI

Programmeur de génie, Nakajima Akemi conçut par ordinateur un "Digital Devil". Depuis des temps immémoriaux, les démons étaient réduits à ne pouvoir apparaître que dans des lieux spécifiques, mais le digital devil, en utilisant Internet, peut atteindre n'importe quel point du globe en un instant. La nouvelle société informatisée ne pense pas à la nouvelle peur qu'elle introduit.

Mû par l'amour, Nakajima ayant perdu Shirasagi Yumiko est déterminé à combattre cet ennemi, le digital devil...

Cette nouvelle série légendaire de Science fiction à l'ère informatique commence ici !


Sommaire

Prologue

Chapitre I La nuit du démon

Chapitre II Transfert

Chapitre III Possession

Chapitre IV Parcourir le chemin

Chapitre V L'épée de feu

Épilogue

Post-scriptum

La généalogie des Dieux

Introduction

Bonjour,

Ayant fait l'acquisition de l'ensemble des tomes de Digital Devil Story il y a peu, j'ai décidé d'en faire une traduction française d'après mon expérience en matière de fansub.
Mon niveau en japonais demeure basique, toute aide serait donc la bienvenue dans ce travail.
J'ai néanmoins tenté de rendre ce texte le plus agréable possible sans m'écarter du texte original.

En espérant que cela vous plaise.

PS : pour ceux qui ne connaîtraient pas cette série, je précise qu'elle revêt un caractère violent et pourrait choquer quelque âme sensible : à ne pas mettre entre toutes les mains.

Cordialement, Nakajima.