jeudi 18 mars 2010

Megami Tensei : Chapitre I La nuit du démon

Chapitre I La nuit du démon


    Un matin de Juin alors que le Soleil brillait après une longue absence. Les flaques de boue brillaient comme des miroirs. Shirasagi Yumiko louchait un peu pour discerner le bâtiment de trois étages que la vapeur d'eau provenant du sol faisait vibrer comme un mirage.
Shirasagi Yumiko.
    Ses membres sveltes et allongés ne faisait pas mentir son nom : Shirasagi signifiant aigrette, un héron blanc. Ses yeux auburn remplis de curiosité prouvait son intelligence ainsi que la ligne parfaite de son nez lui conféraient toutes les qualités d'une sublime jeune femme. Mais l'espièglerie reflétée par son visage montrait qu'elle n'était pas aussi mature que les élèves de son âge.
    Elle avait été transféré assez soudainement : il y a tout juste deux mois, son père qui travaillait pour un grand fabriquant d'électronique à Sapporo avait eu une promotion et fut donc transféré au siège social. La mobilité était inhérente à un cadre moyen et elle s'y était habitué mais le printemps suivant revêtait une grande importance du fait des examens d'entrée à l'Université. C'était dur pour Yumiko d'abandonner les amis qu'elle s'était faits pour sa dernière année de lycée. Pourtant, après beaucoup d'hésitations, toute la famille avait décidé d'emménager ensemble.
    « C'est trop dangereux encore pour toi ou ton père d'être tout seul. » Ce sont les revendications de sa mère qui forcèrent la décision. Mais dès son deuxième jour au lycée Jûshô, Yumiko regrettait déjà d'avoir aussi facilement cédé face à sa mère.
    « Je n'aime pas l'ambiance. »
    Les résultats d'admission de Yumiko au lycée Jûshô avait révélé qu'elle serait dans les premiers de la classe sélectionnée. Ses parents étaient soulagés et se ravissaient des résultats de cet examen. Toutefois, cette école avait quelque chose, une froideur qui n'était pas naturelle. Son lycée de Sapporo aussi était reconnu pour ses résultats mais il n'y avait aucun genre de discrimination comme celle entre les classes sélectionnée et générale et chaque étudiant profitait plus librement de sa vie lycéenne par dessus tout.
    En revanche, les étudiants du lycée Jûshô ressemblaient à de vielles personnes ayant déjà renoncé à la vie. Les élèves de la classe sélectionnée étaient exactement comme des machines cherchant juste à digérer le programme scolaire pour réussir l'examen. Les étudiants de la classe générale eux, s'ils avaient échangé leurs uniformes contre des costumes, ils auraient semblé être des adultes déjà blasés : chacun connaissant son rôle et restant ainsi à sa place.
    En y repensant, de toute la veille, elle n'avait parlé que lors de sa présentation à la classe. Même pour Yumiko qui n'était pas "une pipelette", cela avait été insupportable. Elle n'avait néanmoins ressenti aucune hostilité. Toute la classe était silencieuse comme oppressée par une force invisible. Même pendant les pauses, pas un seul de ses camarades de classe ne lui avait dit le moindre mot.
    « Si tu es trop populaire dès le début, on te regardera et ça t'embarrassera. »
    Ce que sa mère dit en plaisantant avait blessé la fierté de Yumiko.
    La sonnerie sonna dans la cour.
    Yumiko se reprit en main, inspira à grande bouffée et marcha lentement vers l'école.

    « Dans le Mont Utsu à Suruga, je ne te rencontrerai ni dans la réalité, ni dans le rêve »
    Obara, enseignante en littérature lisait à voix haute et monocorde, un tanka (poème). Étant donné sa profession, elle était peu maquillée, mais son style et son visage étaient attirants même aux yeux des autres femmes et elle aurait pu passer pour un mannequin avec sa grande taille. Mais, même par flatterie, on ne pouvait pas dire que le contenu du cours était attrayant. Yumiko lutta longuement pour étouffer un bâillement.
    « Par le passé, ce tanka fut trois fois à l'examen d'entrée pour l'Université Keiô et deux fois pour l'Université Waseda. »
    La romance de Ise Monogatari (le recueil de poésie) est vraiment gâché. J'en suis désolée pour Ariwara Narihira.
    Alors qu'elle allait succomber au sommeil, Yumiko remarqua derrière elle un bruit régulier comme des coups sur une plaque de plastique. Tournant la tête, elle vit un beau garçon assis derrière elle à droite, sur son bureau, il frappait les touches d'un ordinateur de poche1. Il lui semblait que son nom était quelque chose comme Nakajima Akemi. Les étudiants lui avaient présenté par siège la veille mais elle ne s'en souvenait pas bien : c'était un peu flou. Parmi eux, seul Nakajima attira l'attention de Yumiko pendant la présentation par l'enseignant. Son profil et son nom assez féminins lui avaient fait une forte impression.
    Il travaillait vraiment en marge de la classe. Yumiko se sentait assez proche de ce camarade de classe. Il ne semble pas être en train de jouer, il écrit peut-être un programme. Il respira un bon coup en se redressant et leva quelque peu la tête. Ses yeux en amande rencontrèrent soudain ceux de Yumiko.

    Il semblait que le succès de son expérience d'invocation d'un démon avait radicalement altéré la nature humaine de Nakajima ; ou bien la nature démoniaque présente depuis le début en Nakajima avait repris le dessus et l'avait consumé. Il y a seulement deux mois, sa beauté n'émanait que de la timidité mais aujourd'hui il dégageait une forte aura de pur ego. Mais ce ne fut pas sa présence éblouissante qui impressionna Yumiko quand elle croisa pour la première fois le regard de Nakajima.
    C'était comme une sensation de déjà-vu.
    Je n'ai pas attention hier mais j'ai le sentiment de l'avoir déjà rencontré. On dirait le vestige d'un passé lointain. Mais pourquoi ? Le corps de Yumiko fut traversé par un torrent de sentiments, ressemblant à une peur ancestrale.
    Nakajima ne manifesta aucun intérêt envers Yumiko en la voyant et recommença à taper avec rythme au clavier. Yumiko se sentait perdue comme dans une vallée profonde.
    « Que regardez-vous, Mlle. Shirasagi ? »
    La voix assez irritée de Obara ramena Yumiko à la réalité. Le tanka écrit à la craie blanche au tableau noir avait été annoté en rouge et en jaune.
    « Veuillez nous expliquer ce que signifie "Utsutsu" dans ce tanka. »
    Yumiko sentit sur elle les regards de tous ses camarades de classe. Seul le bruit monocorde de Nakajima frappant sans gêne sur son clavier résonnait dans la pièce.
    « Oui, il indique le nom du lieu, Uzu et signifie également lui-même, réalité. »
    Sa voix était assez hésitante. La question d'Obara elle-même n'avait aucune difficulté pour Yumiko qui souhaitait intégré une faculté de lettres.
    « Bien joué Mlle. Shirasagi. Mais même ce que dit l'enseignant est utile parfois. »
    L'expression d'Obara s'adoucit un peu avec ce pique ironique. La tension momentanée disparut et le sourire d'Obara poussa les étudiants mâles à rire. Yumiko avait l'impression que toute la classe se moquait d'elle. La sonnerie indiqua la fin du cours.
    « Attendez, professeur. »
    Quelqu'un arrêta l'enseignante juste avant qu'elle ne quitte la salle. C'était Nakajima. Obara se tourna avec une agitation évidente. L'enseignante aurait-elle peur de Nakajima ? Sans même se lever de son siège, Nakajima continuait à jouer avec les touches de son ordinateur de poche.
    « Professeur, vous viendrez ce soir comme prévu, n'est-ce pas ? »
    Sa voix était faible mais pénétrante. Le visage d'Obara sembla rougir.
    « D'accord. Dans la salle de CAI, n'est-ce pas... »
    Sa voix était rauque comme si elle venait d'avaler quelque chose de travers. Souriant légèrement, Nakajima agita légèrement la main. Yumiko regardait discrètement la scène, Nakajima donnait l'impression d'un maître disant à son chien : « C'est bien, tu peux t'en aller. ». Les autres élèves attendaient le cours suivant comme si de rien n'était. Mais contrairement aux autres, elle avait tout le mal au monde pour garder l'air naturel.
    Sa curiosité avait été titillée. Yumiko alla avec détermination devant le bureau de Nakajima.
    « Hey, tu es bien Nakajima... »
    Elle ne savait pas exactement ce qu'il fallait dire, elle s'était trop précipitée. Nakajima leva la tête et la regarda d'un air douteux. Ces yeux cachant un air démoniaque attirèrent toute l'attention de Yumiko et son sentiment de déjà-vu s'accentuait d'autant plus. J'ai le sentiment de t'avoir déjà rencontré quelque part. Je me demande pourquoi. Mais ce genre de question aurait sûrement embarrassé Nakajima, Yumiko ne savait pas comment gérer ce genre de nouveau sentiment.
    « Tu sais... »
    Nakajima plissa les yeux comme pour railler un enfant et ouvrit la bouche.
    « Il me semble qu'il vaudrait mieux que tu m'ignores. »
    Il parlait d'une voix froide.
    « C'est différent. Je... »
    Avec cette réponse, Yumiko ne savait plus quoi répondre. Derrière, un étudiant à l'aspect robuste faisait des mimiques et des signes de la main lui signifiant qu'elle devrait le laisser tranquille. Après le son de la cloche, le professeur de physique du deuxième cours se tenait debout sur l'estrade.
    Tu peux m'ignorer si ça te plait. Mais je le saurai. Yumiko retourna à sa place en se mordant la lèvre inférieure avec ses dents bien formées.

    À 7H du soir, Yumiko se cachait derrière l'école pour observer la salle de CAI. Mêlé à l'air chaud, un petit insecte volant l'ennuyait. À travers les nuages, la pleine lune paraissait de temps en temps et éclairait faiblement le bâtiment annexe contenant la salle de CAI dans le crépuscule. Je me sens idiote de jouer au détective à mon âge. Yumiko sourit amèrement en observant la salle vide de CAI. Elle se demanda pourquoi elle était là.
    Elle était sûre que Nakajima avait dit « ce soir ». Pourquoi au juste aurait-il appelé Obara dans la salle de CAI en pleine nuit ? De plus, Obara le savait très clairement. Yumiko se rappelait des pas fébriles d'Obara comme ivre quand elle avait quitté la salle de cours. Néanmoins, peu importe ce que Nakajima pouvait faire avec l'enseignante, cela ne la regardait pas.
    Serait-ce une histoire d'amour ? Cette réponse serait trop simpliste. Oui, c'est impossible. Elle devait bien reconnaître que Nakajima avait un charme unique. Mais Yumiko sentait qu'entre eux il y avait quelque chose d'une tout autre dimension qu'une simple histoire d'amour ou de haine.
    Ce qui ressemblait à une ombre passa dans les couloirs. Sans qu'elle ne s'en rende compte, l'horloge indiquait déjà 9H. Yumiko raidit son corps sous la tension. La salle de CAI s'éclaira alors que l'on voyait à travers la vitre, plusieurs personne y pénétrer. Mais, alors que le cœur de Yumiko palpitait, l'ombre d'un grand homme s'approcha de la fenêtre et tous les stores furent bientôt baissés.
    Yumiko décida de faire le tour de l'école.

    Obara regardant nerveusement de tous les côtés posa sa main sur la poignée. La salle de CAI était éblouissante. Trois étudiants l'invitèrent à l'intérieur. Tous habillés et la tête recouverte de noir, l'un d'eux tenait respectueusement un plateau en argent et les deux autres avaient respectivement un chandelier et une épée.
    « Allez, entrez. »
    Assis au centre, Nakajima se leva doucement. Le visage d'Obara s'adoucit quelque peu. Les ordinateurs qui le jour occupés la pièce avaient été poussés et un fauteuil en cuir occupé le centre de la pièce. Il était étrange : des sangles pour attacher la personne s'y trouvant au niveau des pieds, des genoux et du tronc le faisait ressembler à une chaise électrique.
    « Commençons tout de suite. »
    L'œil de Nakajima commençait à briller d'une lueur étrange. Autour du fauteuil, sur le sol se trouvait un cercle séparé en douze parties comme un horoscope.
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    Il y avait en quatre endroit ces symboles en rouge sombre de la taille d'un poing.
    « Parfait, éteignons les lumières et allumons les candélabres. »
    Les trois étudiants suivaient aveuglément les ordres de Nakajima. Comme écrasée par la pression et l'obscurité, Obara s'agenouilla devant Nakajima. La main blanche et translucide de Nakajima caressa la joue rouge d'Obara.
    « Maintenant, mettez-vous à l'aise. Dans quelques minutes, le démon Loki arrivera. Loki est un démon reconnu pour sa beauté et sa ruse, très approprié pour vous, professeur... »
    Dans les oreilles d'Obara, la voix de Nakajima était pesante. Sa main glissa doucement de sa joue à sa nuque.
    « Je vais bientôt lancer l'ordinateur hôte. Ne vous inquiétez pas. Je suis sûr que vous satisferez le démon, professeur. »
    Laissant Obara tremblant les yeux fermés, il alla entrer une commande au terminal. De l'autre côté du mur de verre, la bande magnétique commença lentement à tourner. Nakajima prit alors son ordinateur de poche, ses doigts coururent sur le clavier. Une brume blanche apparut de l'écran et grossit alors qu'elle passait la porte. Le rugissement d'une bête résonna dans tout le couloir, faisant trembler les entrailles de tous. C'était la bête digitale Cerberus. Nakajima l'avait appelée et matérialisée des ténèbres afin d'être le gardien de la cérémonie de ce soir.
    Les trois étudiants conduisirent Obara vers le fauteuil. Ils se servirent des sangles pour attacher fermement les bras et les jambes d'Obara dont la tension faisait vibrer la poitrine.
    « Maintenant, régulez votre respiration. Concentrez-vous pour appeler le démon depuis le monde Atziluth. »
    Click, click.
    Le bruit du lecteur de disques d'un terminal impatient résonna dans la pièce.
    « La Lune et Mars s'opposent, ainsi que Pluton et le Soleil, formant ainsi la Grande Croix brillant dans la cieux. C'est la nuit idéale pour invoquer un démon. »
    Nakajima prit une sorte de casque venant de la salle des machines et le mit sur la tête d'Obara. C'était un casque modem pour les ondes cérébrales. Il convertit celles des humaines en signaux numériques créant une interface qui permet d'interagir directement avec l'ordinateur. Deux câbles rouge et noir sortaient à l'arrière du crâne, le rouge se connectait à l'ordinateur hôte et le noir à un des terminaux. Nakajima entra une commande au terminal et la rotation de la bande magnétique s'accéléra.
    Le corps d'Obara tremblait peu à peu alors que sa conscience se mélangeait déjà avec quelqu'un dans l'ordinateur hôte. Une odeur âcre de musc sortie de nulle part enveloppa son corps. Les trois étudiants qui observaient la cérémonie avec un regard détaché commencèrent à afficher une expression de crainte.
    « Yod, Heh, Vav, Heh »
    De la salle des machines, on entendit une faible voix étouffée.
    « Ah »
    Obara lâcha un cri et commença à remuer son corps. Ses yeux s'ouvrirent en grand sous l'effet de la peur alors qu'elle continuait à hurler de manière intermittente. Tordant ses membres, Obara fit se soulever le fauteuil alors que les câbles s'entortillaient. Du sang frais coulant d'un de ses poignets y tâcha la sangle. Mais sa panique fut bientôt terminée.
    Son expression s'adoucit et Obara ferma les yeux. Bien que du sang coulât encore de la lèvre qu'elle avait mordue, son visage affichait un sourire.
    « Tu as réussi à t'emparer d'Obara, Loki. Que comptes-tu en faire désormais ? »
    Nakajima examinait l'écran de l'ordinateur connecté au casque modem. L'esprit et les sens numérisés d'Obara fut invité dans le monde numérique que Loki avait créé. Les douleurs précédentes causées à Obara devait être dues à une sorte de rejet temporaire lors du contact entre son système nerveux numérisé et celui du démon.
    L'écran affichait les images du monde numérique captées par le nerf optique d'Obara. Soudain, derrière la porte, le hurlement de Cerberus résonna dans tout le couloir. L'étudiant robuste tenant une épée se dirigea vers la porte en réponse à un clin d'œil de Nakajima.

    Quand Obara est entrée dans la salle de CAI, Yumiko, depuis l'arrière de l'école s'était faufilée dans le couloir. Elle avança lentement se fiant à la lumière de la lune reflétée dans le linoléum. Des ouvertures dans les stores d'où la lumière avait disparu, s'échappait la faible lueur des bougies.
    Arrête. Rentre, prends une douche et oublie tout. Elle se parler à elle-même d'une voix urgente. Mais ce soir, c'était une autre personne dans son corps. De quoi as-tu si peur ? C'est l'occasion parfaite pour connaître la véritable nature de Nakajima. Comme toutes les filles de son âge, Yumiko avait suivi une autre voix. Elle entendit quelque chose dans la salle de CAI, comme un sanglot, un cri lointain.
    Prudente, Yumiko ralentit son pas. Dans sa poitrine, son cœur battait à vive allure. À ce moment-là, sans prévenir, quelque chose sortit brusquement de l'obscurité et s'approcha lourdement jusqu'à lui faire face. La lune sortant des nuages révéla progressivement ses contours. La gueule de la bête de proie faisait la moitié de son corps et deux crocs la déformait à chaque extrémité. C'était la bête digitale Cerberus. Ses yeux comme des flammes dans la nuit fixaient Yumiko. Les antennes métalliques près de ses oreilles remuaient. La bête était désormais pleinement éclairée par la lune. Son corps était parcouru de rayures et sa lourde queue d'écailles de serpent.
    Respirant et envoyant une forte odeur sur Yumiko pétrifiée, la bête ouvrit lentement la gueule. De derrière ses crocs, ses yeux comme des flammes scrutaient Yumiko. Soudain, la bête rugit. Cela souleva puissamment le ventre de Yumiko. S'évanouissant, elle reconnut vaguement une ombre noire sortir de la salle de CAI après en avoir ouvert la porte.

    La chaleur et un halètement intermittent ramenèrent Yumiko à elle. Elle ne sentait que le froideur d'une de ses joues, elle était en effet allongée au sol. Autour d'elle, tout était étrangement sombre.
    Mais oui, j'ai été attaquée par ce monstre dans le couloir... La vue soudaine d'Obara attachée au fauteuil effraya Yumiko qui sursauta. Un casque étrange recouvrait sa tête et sa respiration était rapide et forte. Quelqu'un attrapa soudain son épaule droite.
    « Takai... ? »
    C'était Takai, un de ses camarades dont le visage lui avait été présenté. Mais Yumiko ravala ses paroles. Elle réalisa que derrière ses lunettes, les yeux de Takai était vide. Et que veulent dire ces robes ? Yumiko avait déjà remarqué les deux autres étudiants portant cette même robe et agissant à l'instar de Takai comme des somnambules.
    Heureusement le monstre semblait avoir disparu; ou bien n'était-ce qu'un cauchemar ?
    « Ah... aaah... »
    La voix haletante augmenta sensiblement. La poitrine d'où venait cette voix calma Yumiko.
    « C'est la salle de CAI ?... »
    Le feu des bougies, les étranges symboles au sol et le sourire froid sur le visage inquiétant de Nakajima... Le professeur Obara commença à remuer son corps et continua.
    Yumiko allait soudain se lever. Mais, le bras puissant de Takai maintint son épaule.
    « Que se passe-t-il ici ? Que faîtes-vous au professeur ? »
    Sa voix cria pour la première. Nakajima leva lentement la main pour rappeler Takai. Son bras robuste et malhabile lâcha l'épaule de Yumiko.
    « Shirasagi Yumiko...  n'est-ce pas ? Pourquoi ne viendrais-tu pas par ici ? La vue est très intéressante. »
En se levant, Yumiko remarqua que l'ourlet de sa jupe avait été déchiré en un endroit comme si un chien l'avait mordue. Après tout, j'ai vraiment été attaquée par un monstre.
    Nakajima montra à Yumiko l'écran de l'ordinateur auquel étaient connectés les câbles sortant du casque d'Obara. À l'écran était projeté l'image de la sculpture grecque en bronze d'un jeune homme. Non, ça ne pouvait pas être une sculpture. Cette image d'une beauté divine se tortillait calmement comme si on lui avait insufflé la vie. S'afficha alors un gros plan du visage et de la poitrine du jeune homme. Son visage cachait une sagesse hors de portée des hommes et ses yeux de jais semblait engloutir tout ce qu'ils observaient tel un trou noir.
    « C'est le démon Loki. »
    La voix de Nakajima se fit entendre dans ses oreilles.
    « Ce n'est qu'une image de synthèse, non ? »
    Les yeux de Yumiko restaient fixés sur l'écran.
    « Je serais excellent si j'arrivais à imaginer et à concevoir un démon aussi réaliste. C'est un vrai démon. Mais il est normal que tu ne le crois pas. »
    L'écran dévoilait la poitrine de Loki bougeant lentement. Cette poitrine noire qui luisait était étroitement recouverte d'écailles. Yumiko réalisa soudain que les halètements d'Obara et les mouvements périodiques de Loki étaient synchrones. L'instant d'après, elle réalisa ce que signifiaient ce souffle rapide.
    « Exact. Le professeur Obara prend du bon temps avec Loki dans son monde numérique. »
    Nakajima cracha le morceau. Obara atteignit bientôt l'orgasme. Son chemisier déchiré laissait paraître de la sueur sur sa poitrine palpitante. Tout le corps de la femme semblait avoir accepté le démon invisible. Yumiko remarqua alors une brume bleue aux alentours de sa poitrine. Tandis que sa densité augmentait, une odeur putride intolérable agressa ses narines. Se retournant, elle vit le visage de Nakajima affichant une confusion évidente.
    Il courut prendre son ordinateur de poche et s'agenouilla face à Obara tapant sur les touches tout en agitant le capteur autour de cette brume. Obara hurla. La brume bleue s'évanouit laissant le corps d'Obara alors qu'elle s'évanouissait également.
    Nakajima laissa s'échapper un soupir de soulagement. Sur son visage, Yumiko vit le déclin évident de sa grande confiance.

    « J'ai pu invoquer un démon grâce à un ordinateur. Ce n'est pas si surprenant : la magie est avant tout une science dotée d'une grande structure logique. Mais, l'invocation du démon nécessitait la simulation de centaines de milliers de variables, ce qui eût pris toute la vie d'une personne de par sa complexité, sans néanmoins parvenir au résultat. Ainsi, les recherches se seraient poursuivies encore en secret pendant plusieurs générations ; c'est une coïncidence miraculeuse si j'ai pu entrer en contact si limité soit-il avec un démon. Mais si cela est une simulation énorme pour la main de l'homme, avec un ordinateur ce n'est plus vraiment un fardeau. J'ai bien réussi à créer un programme pour invoquer un démon depuis les ténèbres. »
    Le ton de Nakajima était serein comme un monologue.
    Quand la salle de CAI fut complètement rangée, on eût du mal à croire qu'un instant plus tôt, cette cérémonie lugubre s'était déroulée. Takai et les autres sortirent sans montrer leurs visages en portant Obara toujours évanouie. Seuls Yumiko et Nakajima restaient, comme absents, ils se faisaient face sous les lumières de l'éclairage.
    Le visage Nakajima, de retour dans son uniforme, ressemblait de manière inattendu au lycéen de 17ans qu'il était. En observant son visage, même après cette incroyable expérience hors du commun, Yumiko n'arrivait pas à croire à son monologue.
    « Mon programme était parfait. Parmi tous les habitants des ténèbres, j'ai été surpris de voir que Cerberus ressemblant à un animal pouvait être matérialisé même avec un ordinateur de poche. Mais un démon plus puissant a beaucoup plus de données à traiter. Quand il s'agit d'un démon aussi puissant que Loki, toute la capacité de l'ordinateur hôte à pleine puissance est nécessaire pour le numériser à l'intérieur. Même pour moi, Loki était très imposant à invoquer. Grâce aux écrans d'ordinateur, Loki peut hypnotiser les gens. Il a mis toute l'école à mes pieds désormais. Même les imbéciles de la classe générale et les enseignants me respectent du fond de leurs cœurs. Il a touché un point sensible, n'est-ce pas ? Le seul prix que j'avais à payer, c'étaient des sacrifices pour Loki. Mais comme on l'a vu, cela n'arrive que dans le monde numérique. »
    Nakajima parlait tout seul. Même la présence de Yumiko lui était sortie de l'esprit. Mais contrairement à ses paroles, le doute régnait encore dans son esprit.
    Je n'aurais jamais imaginé une telle chose.

    Nakajima n'était pas magicien. L'eût-il été, lorsqu'il avait invoqué le démon, il aurait établi un contrat précis sur la durée et l'objet. Toutefois, Nakajima avait été négligent en effet. Quand Loki transforma Kondo en morceau de viande sanglant, Nakajima eut l'illusion d'être aux commandes. Loki avait une force gigantesque. Il implanta dans l'inconscient des élèves et des enseignants un profond respect envers Nakajima : les hommes le suivaient et les femmes étaient séduites. Pour un lycéen qui n'avait jusqu'alors eu aucun pouvoir, cela semblait être un plaisir suprême.
    Loki réclamait des femmes en sacrifice. Les femmes offertes à Loki hurlent, leurs corps s'agitent et elles finissent par atteindre l'orgasme. Nakajima ne pouvait pas nier que dans son cœur il éprouvait un plaisir sadique dans le viol libre du corps de ces femmes. Mais Nakajima voyait ces évènements comme sans conséquence et se passant dans le monde virtuel.
    Loki ne pouvait pas sortir de l'ordinateur. On ne pouvait pas traiter la gigantesque quantité de données formant Loki à moins de n'utiliser le plus grand ordinateur au monde. Loki quant à lui ne pouvait agir que dans les limites du programme développé par Nakajima. Mais était-ce vraiment sûr ? En effet, quelle était la nature exacte de la brume s'étant accrochée à Obara... ?
    « Tu as peur de quelque chose, n'est-ce pas... »
    C'était une voix de femme. Nakajima se rappela qu'il avait parlé à Yumiko. Je n'arrive pas à croire que j'ai parlé. Nakajima fixait avec détermination Yumiko face à lui. Les yeux de celle-ci brillaient puis ils virèrent au rouge. Un instant plus tard, Nakajima s'était envolé dans un monde fantastique.

    Des rochers rouges-bruns sur lesquels ne poussait aucun brin d'herbe perçaient et déchiraient les nuages montant jusqu'aux cieux. Le ciel stagnait lourdement comme une fine encre alors qu'un vent humide soufflait à travers la vallée. Un chemin abrupt et sinueux se dessinait, serrés des deux côtés par les rochers. Un jeune homme arpentait ce chemin en expirant comme s'il crachait du feu à travers ses dents serrées. Il était vêtu d'une robe en lin sans manche. Ses longs cheveux tombaient sur sa poitrine. Il errait sans doute dans un monde mythique. Mais le visage du jeune homme put être aperçu et il ne faisait aucun doute que c'était celui de Nakajima.
    Il essuya la poussière sur sa joue ainsi que sa sueur mais seul, il ne pouvait y parvenir.
    « Mon amour, pourquoi m'abandonnes-tu, Izanagi, pourquoi... »
    Une voix emplie de tristesse atteignit les oreilles du jeune homme... Il ralentit involontairement. Sa tête se tournait d'elle-même. Mais il se mordit férocement les lèvres, regarda la route et se remit à courir. Une femme poursuivait ce jeune homme dont les pieds saignaient à cause d'éclats de roches sur le sentier. Ses bras blancs effilés étaient désespérément tendus en avant comme pour réduire la distance entre elle et le jeune homme. Ses cheveux noirs comme l'ébène flottaient au vent, et sa voie désespérée filait en arrière.
    Son visage apparaissant sous ses cheveux s'était dissout sous l'effet de la putréfaction et ses orbites étaient pleinement exposés. Des asticots se contorsionnaient entre sa chair et ses os. Lorsque la femme haletait, des larmes de chair tombaient de ses joues. Ses dents blanches exposées par des lèvres pourries se serraient avec frustration et regret.
    Alors, un éclair violet frappa un rocher devant le jeune homme qui se sépara en deux laissant ainsi sortir quelqu'un. C'était une femme à la peau verte comme une grenouille. Elle étendit ses bras pour bloquer le chemin du jeune homme.
    « Yomotsu-Shikome !
    - Arrête-toi... » dit-elle d'une voix immonde et erratique.
    Sa courte gorge verte se gonfla anormalement. Le jeune homme sortit un peigne de ses cheveux, cassa plusieurs de ses dents rouges et les lança vers la femme. Une d'elle se logea dans sa poitrine nue.
    « Gyah... »
    Son cri fit trembler toute la vallée, et son corps hideux laissa s'échapper du sang qui tâcha les roches. D'innombrables roches petites et grandes tombèrent sur son chemin. La voix triste atteignit à nouveau les oreilles du jeune homme qui contournait le cadavre de Yomotsu-Shikome.
    « Je t'en prie, attends, Izanagi... »

    « Nakajima... ? »
    Levant son visage, il vit les yeux suspicieux de Yumiko l'examiner. Ses yeux étaient pleins de peur mais également de pitié.
    « Bon, tu devrais partir maintenant. »
    De brefs mots enchaînés sortirent de sa bouche. Yumiko lui obéit. Nakajima demeura immobile jusqu'à ce que ses pas disparaissent derrière la porte.
    « Il faut que je découvre la nature réelle de cette brume. »
    Murmurant pour se donner du courage, il alluma le modem pour se connecter à l'ordinateur hôte de l'ISG.
    > HELLO NAKAJIMA    (Bonjour Nakajima)
       WHAT'S TODAY ?    (Qu'y a-t-il aujourd'hui ?)
    Après avoir vu le message de l'intelligence artificielle Craft, Nakajima changea le lecteur de disques de l'ordinateur pour un qu'il avait personnalisé et l'enclencha. Il contenait un dispositif de traduction automatique avec une base de données incorporant plus de cinquante milles termes appartenant au domaine de la sorcellerie. C'était un travail de très longue haleine de Nakajima.
    > Une vapeur non-identifiée s'est créée lors de la cérémonie. Je t'envoie une estimation de sa forme et de sa composition. Essaie de l'analyser pour moi.
    Les données contenues dans l'ordinateur de poche furent envoyées à travers la ligne téléphonique dans le Massachusetts. Une minute... deux minutes, Nakajima tapotait impatiemment le bureau avec ses doigts. L'appareil de traduction entre le périphérique et la ligne diminuait la vitesse de transmission. Cinq minutes plus tard les résultats de l'analyse lui furent enfin transmis.
    > Sa densité en ectoplasme est cinq fois supérieure à la normale. À en juger par ses conditions d'apparition, la probabilité que ce gaz soit Loki est très forte.
    > Je n'ai pas conçu de données permettant à Loki de prendre une forme matérielle. Et d'abord, les ordinateurs de CAO ne pourraient pas gérer une simulation aussi importante que celle nécessaire pour matérialiser Loki.
    > Je ne peux pas fournir une réponse claire à partir des données qui m'ont été fournies. Mais, le démon invoqué dans l'ordinateur est une forme d'intelligence artificielle bien supérieure. On ne peut pas exclure la possibilité qu'il ait trouvé un moyen de se matérialiser lui-même.
    > THANK YOU CRAFT    (Merci Craft)
    Envoyant son dernier message, il coupa la liaison.
    Ce n'était pas censé se produire. De toute manière,je vais devoir travailler sur une nouvelle technologie pour maintenir Loki sous mon contrôle.
    Nakajima observait le ciel comme à son habitude.


    NOTES DU CHAPITRE
    1. Ordinateur de poche    C'est un ordinateur portable. Grâce à sa batterie, on peut s'en servir à l'extérieur. Nakajima en possède un de ce type.

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