samedi 10 avril 2010

Megami Tensei : Chapitre II Transfert

Chapitre II Transfert


Il était minuit à Marunouchi Yon-Chôme. L'éclairage des bâtiments éteint les faisait s'élever comme de grandes tours noires. Nul ne marchait sous les rangées de ginkgo. Seules des mite papillonnaient, attirées par l'éclairage de la rue. Le quartier était si calme qu'on pouvait presque les entendre heurter les piliers en fer.
Mais le silence extérieur semblait n'avoir aucun rapport avec les grandes sociétés qui tiraient avec fierté l'économie du pays. Le douzième étage de la société de production Mitsune était en fait toujours allumé. C'était le secteur trois de l'exportation en charge du commerce avec l'Europe. Il ne restait que deux semaines avant le passage de la loi EC sur la régulation des importations en août. Dans cette dernière occasion d'exporter, tous les hommes du secteur avait dû travailler vingt heures d'affilée à plein régime.
Comme l'on pourrait s'y attendre, certains faisaient une sieste sur le canapé tandis que d'autres étaient allés prendre des ramen dans un petit restaurant près de la station de Tokyo. Inoue, les yeux injectés de sang et à moitié fermés saisissez en ligne le plan d'exportation via bateau du lendemain sur un poste de travail relié à l'ordinateur principal. Mais avec ses lunettes métalliques couvertes d'empreintes de doigts, il n'était aussi élégant qu'à son habitude.
Caressant nonchalamment sa moustache d'une main, l'index de son autre main rebondissait violemment sur le clavier.
« Combien de temps reste-t-il ? »
Hashiguchi qui venait de faire une sieste sur le canapé se leva à moitié et l'appela. Sa voix paresseuse se mêlait à un bâillement.
« Ça ne devrait pas prendre bien longtemps : il ne reste que l'électroménager français. »
Se servant de sa feuille de codes en vinyle comme d'un éventail, Inoue envoyait de l'air sur sa poitrine paraissant sous sa chemise.
« De combien à augmenter l'exportation ? »
Hashiguchi se leva enfin. Alors qu'il se frottait les yeux, bouffis, il regarda l'écran par dessus l'épaule d'Inoue.
« Je dirais de 200% par rapport à l'année dernière. J'ai peur quand je pense que la douane pourrait tout interdire.
- Il y aura plus ou moins de frictions mais c'est tout. De toute manière, dans deux semaines, on va malheureusement perdre 90% des exportations de l'année dernière.
- Mais Kachou (chef de division) et les autres mettent du temps. Ça ne prend pas une éternité pour manger des ramen. Ils ont dû s'arrêter prendre un verre.
- Repose-toi. Je vais m'occuper de la saisie un petit moment et on changera. »

Hashiguchi sourit de bonne humeur en posant sa main sur l'épaule d'Inoue.
« Eh bien, désolé de t'imposer ça. »
Dès qu'Inoue se leva, le modem se mit à sonner. La DEL clignotait pour montrer un transfert de données depuis une branche intérieure de la société.
« Qu'y a-t-il encore ? lâcha Hashiguchi.
- Ils veulent sûrement qu'on leur envoie nos surplus. Mais pour l'instant je m'occupe pleinement de l'exportation alors je n'ai pas le temps pour ça. »

Inoue étant déjà en pause, il n'argumenta pas plus.
« Mais eux aussi au bureau là-bas ont travaillé dur jusqu'à cette heure-ci. »
Hashiguchi changea de lecteur de disque en se calmant et mit l'ordinateur en mode de réception. Une série de nombres disparut et l'écran devint vert. Il s'agissait normalement de la session où l'ID de l'expéditeur devait s'afficher. Mais bizarrement, des couleurs défilèrent à l'écran ainsi que des symboles incompréhensibles.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Il s'agissait évidemment de lettres en hébreu mais ces deux-là ne le savaient pas. Finalement, l'écran afficha un homme debout.
« J'aimerais bien dire deux mots à ceux qui font des blagues en plein milieu de la nuit. »
Inoue alluma une cigarette tandis qu'il jetait un coup d'œil sans intérêt à l'écran. L'odeur de celle-ci cacha celle de musc âcre qui commençait à envahir le bureau. Toutefois, même si c'était une plaisanterie, l'homme à l'écran était très bien fait. Son corps était aussi bien proportionné qu'une statue grecque. Il avait de longs cheveux noirs, des lèvres roses éclatantes et ses yeux sombres cachaient un mal indéfinissable.
« Quoi qu'il en soit c'est un niveau très avancé de CG (image de synthèses), hein ? » remarqua Hashiguchi.
Ayant oublié d'ôter le filtre de sa cigarette, une fumée suspecte s'en échappait alors qu'il brûlait.
« Oh, désolé. »
Alors qu'Inoue était occupé à éteindre sa cigarette, l'homme à l'écran sourit. De ses lèvres entrouvertes, on pouvait apercevoir des dents aiguisées. Hashiguchi était fasciné par ce sourire. Désormais, toute l'attention de Hashiguchi se portait sur l'homme dans l'écran. Il remarqua bientôt que la surface de l'écran était étrangement humide.
Nettoyant l'écran avec le dos de sa main, Hashiguchi sentit une matière visqueuse se collait à ses doigt ; il recula en un instant. Alors qu'il se débarrassait violemment de la chose gluante collée à sa main, elle tomba sur le plancher comme une flaque d'eau pesante.
« Wow, qu'est-ce que c'est que ce truc ? »
Les cris de Hashiguchi apprirent à Inoue que quelque chose d'anormal arrivait. Les yeux de Hashiguchi dont le visage était livide observait fixement la substance gélatineuse roulant sur le plancher. Elle se tortillait doucement.
Sous sa peau de protoplasme rose s'étendait un réseau de vaisseaux sanguins verts. La masse mystérieuse battait comme un organe juste prélevé sur un corps vivant. Hideux. Il était impossible de décrire plus que ça cette immonde masse.
Slash, slash.
Elle fit du bruit en se déplaçant. Il semblait s'approcher fermement des deux hommes. Une odeur de chair répugnante leur attaqua les narines.
Bleurk.
Inoue hurla puis vomit.
« Fuyons ! »
Tandis que Hashiguchi reculait, il attrapa Inoue incapable de bouger et alla vers la porte. Mais le corps étranger était déjà tout près des pieds des deux hommes. De l'épiderme de cette gelée, des tentacules recouverte d'une substance visqueuse comme de la confiture rouge s'étendirent et attrapèrent les genoux d'Inoue.
« Dé... dégage... »
Hashiguchi hurlait de plus en plus, alors que ses glissaient sur le bureau, il lançait tout ce qu'il pouvait vers l'étranger. L'épiderme de la gelée absorbait tout.
Toc, toc.
On ne savait plus s'il s'agissait du cœur de Hashiguchi qui battait fort ou bien la gelée. Les deux yeux grand ouverts de Hashiguchi virent un mouvement rapide du corps étranger. L'instant d'après, son pied droit était enveloppé dans une gelée rose. Hashiguchi allait hurler, mais sa peur lui serrait la gorge.
Le corps étranger commençait avec peu d'appétit à dévorer le corps de Hashiguchi. Ce dernier était inexorablement entraîné. Il ne ressentait aucune douleur. Comme si ces organes internes avaient déjà été enveloppés par la peau du corps étranger. Hashiguchi leva désespérément les mains au ciel comme pour chercher un dernier espoir.
Fush. (déchirement de chair)
Des gouttes de sang se dispersèrent dans toutes les directions. De la substance étrangère en pulsations, seul le crâne de Hashiguchi étant saillant. Des tentacules vertes et gluantes sortaient de ses orbites vides.
Inoue n'arrivait pas à se dire que la morte effroyable de Hashiguchi était réelle. Il frappa du stylo bille qu'il tenait la tentacule rouge accrochée à son pied, encore et encore, comme une machine. La raison d'Inoue refusait la scène se déroulant devant ses yeux. Le corps étranger fixait Inoue. Sans qu'il ne s'en aperçoive, des yeux lui avaient poussé. Ces yeux maléfiques étaient emplis d'un charme tenace et fixaient fermement Inoue.
Les tentacules grimpèrent de ses pieds à son torse. Inoue rit brusquement. Alors qu'un liquide vert s'échappait de la tentacule, une odeur de chair dissoute à l'acide sulfurique envahit la pièce. Inoue riait comme un fou alors que son corps se dissolvait.
« Qu'est-ce qu'ils ont les collègues ? »
« Ils doivent s'amuser avec du lolicon. »
Dans l'entrée, les collègues rentrant de l'extérieur s'examinèrent quand ils entendirent le rire fou d'Inoue.

Au même moment, dans la salle de CAI du lycée Jûshô, face à l'ordinateur hôte branché au modem, Nakajima essayait de dialoguer avec le démon Loki.
> Alors ? Est-ce que l'expérience de transfert s'est bien déroulée ?
> YES (Oui)
La voix étouffée sortant des haut-parleurs secoua fortement les tympans de Nakajima.
> Il semble que tu sois finalement obligé de reconnaître ma technologie.
> Si tu le penses, je ne te détromperais pas. Mais nous sommes très loin de la perfection.
> On n'y peut rien. En envoyant une aussi grande quantité de données à la fois, il est inévitable que quelques erreurs de données surviennent.
De la sueur brilla sur le front de Nakajima où se trouvait le microphone. Bien que continuant à parler calmement, son corps se raidit et de une anxiété qu'il ne pouvait pas maîtriser l'occupait. Et si Loki avait la puissance nécessaire pour se matérialiser lui-même, qu'adviendrait-il ? Non, il ne peut pas être capable d'une telle chose.
Pour l'instant, Nakajima n'avait toujours pas remarqué que Loki pouvait se matérialiser.
En fait, Loki s'est soumis aux tests sur ma théorie du transfert des démons.
La théorie du transfert des démons. Pouvoir se déplacer librement était le rêve de longue date de Loki mais également de tous les démons. Depuis des temps immémoriaux, les démons étaient très limité dans leur déplacement sur cette planète, d'ailleurs, une fois le démon invoqué, il ne pouvait pas conserver son être hors d'un rayon de quelques kilomètres autour de son point d'émergence. Par conséquent, le monde des humains n'avait encore jamais été envahi par un puissant démon.
Nakajima avait conçu une technologie qui allait chambouler une fois pour toutes tout le sens commun dans le monde des démons. Cette technologie transforme le démon en signal numérique et l'envoie via la ligne téléphonique sur n'importe quel ordinateur. Une fois pleinement développé, les démons seront totalement libérés des contraintes physiques inhérentes à leur déplacement. Et ce soir, le succès de l'expérience avec Loki était une très grande avancée.
Si Nakajima avait été courant du carnage à la société Mitsune, il aurait sûrement détruit tout l'équipement informatique à portée de main. Le corps du démon avait la capacité de se matérialiser. Cela signifiait que la situation était bien plus terrible qu'on ne pouvait l'imaginer. Le succès de l'expérience de transfert avait permis au démon de dépasser les limites lui étant imposées...
Alors qu'il essayait de la nier, son anxiété augmentait. Pour rivaliser avec Loki, je pourrais bien devoir invoquer un démon plus puissant.
> Donne-moi un sacrifice.
Soudain, une voix hurla dans les écouteurs.
> Donne-moi Shirasagi Yumiko.
Shirasagi, Shirasagi Yumiko ? Nakajima rumina son nom. Loki voulait Yumiko.
> Impossible, je ne peux pas le permettre.
Il se mit à hurler sans s'en rendre compte. Nakajima lui-même était surpris de sa réaction.
> À qui donnes-tu des ordres, mon garçon ?
La colère dans la voix de Loki était évidente.
> Attends, d'accord.
Les lèvres de Nakajima tremblaient. L'image du visage innocent de Yumiko fit une apparition fugace devant ses yeux. Nakajima fut à nouveau emporté dans un monde fantastique.

Les rochers qui s'élevaient et les nuages turbulents n'apparaissaient pas aux yeux du jeune homme. Il plissait les yeux et fixait avec détermination le chemin devant lui. Ses lèvres horriblement sèches étaient recouvertes de sang coagulé. Ses pieds pourpres étaient entaillés par plein de petits cailloux. Mais le bruit du halètement se rapprochant derrière lui le fit accélérer le pas.
« Izanagi, pourquoi ne m'attends-tu pas ? Est-ce parce que je suis devenue aussi laide ? Quand tu es entré dans Yomi, le royaume des mort tu m'as promis que tu me ramènerais quoi qu'il me fût arrivé. Était-ce un mensonge ? Peu importe ton apparence, je n'aurais pas fui... »
Comme pour effacer sa peur et sa culpabilité, le jeune homme se mordit férocement les lèvres. Il courait pour s'enfuir, mais la ténacité de la femme réduisait peu à peu la distance entre eux. Les larmes coulant de ses yeux emportaient ses cils et alors qu'elle hurlait ses cheveux tombèrent au sol.
« Izanagi... »
À chaque cri, la chair de ses joues se rompaient laissant apparaître ses dents blanches. Bientôt le chemin cessa et des marécages verts s'étendaient devant les yeux du jeune homme.
« Toyoashihara... »
Ses lèvres blessées tremblaient avec le soulagement. Il ouvrit grand ses bras, prit une grande bouffée de l'air humide, referma fortement ses lèvres et regarda derrière lui. La pitié envahit ses yeux qui fixaient l'horrible femme le poursuivant. Le jeune homme s'assit à la sortie de la vallée, ferma les yeux et commença à méditer. La sueur sortant de tout son corps coulait et s'enfonçait dans le sable. Ses dents se serrèrent jusqu'à la limite d'un craquement alors que les muscles de ses joues se contractaient. Son beau visage avait perdu ses couleurs et semblait déformé.
Quand la femme arriva, un jet de pierre commença alors que le jeune homme flottait dans les airs. C'était de la psychokinésie ! Du milieu des falaises escarpées, un grondement indiqua une myriade de rochers plus ou moins petits s'effondrant. La femme s'arrêta soudain et un immense rocher à deux pas d'elle s'effondra et scella le chemin.
« Pardonne-moi, Izanami... »
Fermant ses paupières, le jeune homme se releva et tituba sur ses jambes tremblantes dans le marécage. Écartant les roseaux à la hauteur de ses joues, le jeune homme entendit le hurlement lointain de la femme.
« Je te retrouverai. Que cela prenne des centaines ou des milliers d'années... »
Sa voix saccadée résonna dans le cœur du jeune homme et le brisa.
« Pardonne-moi, pardonne-moi... »

Nakajima quitta la salle de CAI l'allure déprimée, et, quelques minutes plus tard, une ombre noire passa dans le couloir comme si elle avait attendu impatiemment. La main chercha dans l'obscurité l'interrupteur d'un terminal puis l'actionna, l'écran éclairait le clavier sur lequel couraient des doigts. Il s'agissait de doigts blancs et délicats. Ces derniers s'arrêtèrent brusquement au son d'une voix intimidante.
> Obara.
La voix l'appelait.
> Le programme de transfert de Nakajima est affiché. Peux-tu le manipuler pour moi ?
> Je crois. Tant que ce n'est que le manipuler.
> C'est suffisant. Il est inutile de l'améliorer. Si je peux me déplacer et prendre forme librement, je pourrais dominer le monde Assiah, seul.
> Vos désirs sont des ordres.
Le microphone avait capté son murmure enflammé.

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