Dans
le Massachusetts, il y a une vieille ville portuaire célèbre sous
le nom de Salem. La ville prospéra grâce à la pêche au cours du
XIXe siècle, mais les fluctuations de cette activité aux États-Unis
l'affecta au point qu'aujourd'hui il ne reste plus que dix pour cent
du nombre d'habitants de sa grande époque, subsistant grâce à de
petites industries alimentaires. Au centre de la ville, un canal aux
eaux troubles que les bateaux ne fréquentent plus mène jusqu'à la
baie.
Le
long du canal, les vieilles maisons, des reliques du temps passé,
renvoyaient les rayons du soleil d'été avec leur peinture blanche
en train de craquer. Au coin se trouvait un hôtel de briques
construit avant la première guerre mondiale et n'ayant pourtant eu
besoin d'aucune rénovation.
Il
y avait une chambre au deuxième étage. Elle ne comportait aucun
meuble mis à part un lit et un téléphone, le seul bruit était le
rugissement retentissant de l'air conditionné estampillé GE. Un
homme ne s'en souciant pas le moins du monde avait tous ses nerfs
concentrés sur l'ordinateur portable devant lui. L'ordinateur se
connectait directement par la ligne téléphonique à Craft,
l'intelligence artificielle de l'ISG (International
Satanist Garden). L'homme et Craft discutaient depuis plus de
dix heures.
Il
portait une tunique de lin jaunie, de vieilles chaussures en cuir
noir, de plus, ses cheveux et ses sourcils étaient argentés. Il
devait avoir environ la cinquantaine. Son nom était Isma Feed.
C'était le frère de l'éminent chercheur en ingénierie et en magie
du MIT (Massachusetts Institute of Technology) Charles Feed.
Son
frère Charles dirigeait l'ISG et se servait de l'alchimie et de la
magie afin de faire avancer la science tandis qu'Isma avait dévoué
sa vie à la pratique de la magie noire. Pour ceux qui le
connaissait, son seul nom les terrifiait comme celui d'un démon. En
effet, la posture de l'homme scrutant l'écran comme un aigle lui
conférait un air sinistre qui n'était pas sans rappeler un démon.
Isma
plissa les yeux comme à demi-clos et tapa sur le clavier comme une
araignée le caressant.
>
Is that sure ? (Est-ce sûr ?)
>
Maybe. (Peut-être.)
L'intelligence
artificielle lui renvoya un message instantanée.
«
… »
Avec
un profond soupir, Isma mit fin au dialogue en ligne.
«
C'est difficile à croire mais il ne fait aucun doute qu'un gamin
asiatique a réussi à invoquer un démon via ordinateur. »
Il
murmurait de ses lèvres sèches. De lourds coups tombèrent sur la
porte de chêne.
«
Vous pouvez entrer. »
Il
éteignit son ordinateur portable et se tourna vers la porte en
arrière sans quitter sa chaise. L'ancien propriétaire de l'hôtel
avec un sourire mal à l'aise regardait Isma, les sourcils baissés.
«
Je n'ai pas eu le choix... »
Il
ne le dit pas mais un homme armé se trouvait juste derrière le
propriétaire. Un grand homme aux sens aiguisés pointa son arme sur
la poitrine d'Isma.
«
Mage Isma Feed. Je vous ai enfin retrouvé. »
La
voix de l'homme montrait une rancune tenace.
«
J'admire vos efforts pour me trouver mais votre manière de me saluer
est loin d'être calme. »
Récitant
une incantation du bout des lèvres, Isma se leva.
«
Malheureusement, le FBI n'est pas connu pour sa politesse. Si j'avais
essayé d'énumérer la liste complète de vos crimes, nous aurions
déjà les yeux fermés. »
Sa
voix tremblait comme si la lueur dans les yeux d'Isma l'intimidait.
«
Et bien, vous allez sûrement me demander de vous suivre calmement ?
Ça ne serait pas facile de transporter mon corps, n'est-ce pas ? »
Bluffant
autant que possible, il mit le doigt sur la gâchette de son arme de
poing.
«
Ça ne m'ennuierait pas de m'occuper de votre corps... »
La
lumière froide des yeux bleus d'Isma fixait l'homme. Le silence
dominait la pièce. De grosses gouttes de sueur coulaient sur son
visage. Se levant, la tunique d'Isma balaya le sol une dizaine de
secondes.
«
Arrêtez ! Ne vous approchez pas ! »
Il
cria d'une voix sèche alors qu'il reculait. Mais le canon de son
arme s'éloignait de la poitrine d'Isma et ne pointait sur rien.
«
Vous auriez dû venir après avoir appelé les renforts. Même si une
ou trois personnes n'auraient sûrement rien changé.
- Uh,
uh... »
Le
canon bougea lentement, griffant le mur. Peu importe ses efforts, sa
main gauche n'arrivait pas à arrêter le mouvement courbe de sa main
droite agissant d'elle-même. C'était comme si un bras invisible
auquel on ne pouvait pas résister, sa main droite trempant l'arme de
sueur pointa celle-ci en direction de son visage.
«
Non, arrêtez, argh... »
Le
canon froid et acide dans sa bouche poussait sa salive et l'empêchait
de crier. Ses deux mains luttant pour l'arme, il s'inclina en arrière
et observa le plafond.
Bang
!
Le
coup de feu étouffé résonna dans la salle. L'instant d'après, le
mur du fond fut souillé du sang et de la cervelle venant de la tête
de l'homme.
«
Joseph, nettoie comme d'habitude. »
Isma
parlait au vieux gérant recroquevillé dans un coin de l'auberge.
«
Sur ce, je vais au Japon. Cette fois ça pourrait être un voyage
assez long. »
Accumulant
du sang sous ses chaussures noires antidérapantes, il laissa des
empreintes de pas sur le plancher de béton en refermant
silencieusement la porte de chêne.
Dans
la ville de Kunitachi à Tokyo. Le 20 Juillet à quatre heures de
l'après-midi. Pendant les vacances d'été, il n'y avait personne
dans la cour du lycée Jûshô. La lumière du Soleil se reflétant
sur le lycée s'était enfin apaisée. Les mères de famille et les
étudiants à l'air fatigué plissaient les yeux et lui jetaient des
regards plein de curiosité.
L'incident
au cours duquel tous les élèves d'une classe avaient disparu et la
salle de CAI avaient été détruites s'était déroulé il y a une
semaine.
«
Tous les élèves ont conspiré pour détruire la salle et se sont
ensuite volatilisés. »
C'est
comme ça que leur professeur, Obara avait expliqué la situation.
Toutefois, personne ne pouvait imaginer la vérité et on voyait dans
cet incident le signe de la violence grandissante au sein de l'école.
Nakajima
Akemi en troisième année avait un beau visage comme une fille et
rendait les autres étudiants jaloux. Nakajima qui était un
programmeur de génie, en se concentrant sur la similitude entre
informatique et théorie magique lui permit d'invoquer un démon sous
forme de données numériques. "Avec l'aide de ce démon, je
prendrai ma revanche sur ces salauds."
Au
début, le démon Loki émergea dans l'ordinateur hôte de la salle
de CAI (comme une intelligence artificielle) et satisfit les désirs
de Nakajima en manipulant les étudiants par hypnose. Cela fit
bientôt de lui le chef du lycée Jûshô. Mais son cœur était vide
d'une certaine manière. D'un autre côté, l'existence de Nakajima
qui ne lui obéissait pas nécessairement devint peu à peu une gêne
pour Loki qui avait l'intention de se matérialiser. Obara qui avait
été sacrifié par Nakajima pour sa beauté fut fasciné par le
charme de Loki qui se servit d'elle afin de remplacer Nakajima à son
service.
Loki
chargea Obara de manœuvrer le programme d'invocation des démons de
Nakajima. Finalement, Loki parvint à se matérialiser dans le monde
Assiah (monde réel), jouissant de sa nouvelle liberté, il échappa
à tout contrôle de Nakajima et commença à dévorer les hommes et
fit un massacre aveugle.
Ayant
plein de remords pour avoir causé une situation aussi catastrophique
à cause de sa rancune et de sa curiosité, Nakajima invoqua Cerberus
via les données de son ordinateur de poche, mais ce dernier perdit
le combat. Dès le début de ce combat, la défaite était
inévitable. Cependant, à la fin, un ennemi inattendu apparut face à
Loki.
L'étudiante
transférée, attachée à Nakajima, Shirasagi Yumiko fut possédée
par la Déesse Izanami. Le dur combat acharné et inexplicable réduit
vite la salle de CAI en ruines. Puis Izanami s'envola avec Nakajima
blessé vers son tombeau. Les poursuivant, Loki se dirigea également
à Asuka.
Bien
sûr personne n'avait connu les vrais circonstances de l'incident.
Quoi qu'il en soit, seuls les faits superficiels, résultats de
l'incendie, furent diffusés par les médias de masse d'un manière
bien sensationnelle.
«
La classe d'élite détruit la classe et disparaît ! » Ce titre
faisait la une des hebdomadaires.
Suite
à l'incident de la salle de CAI, les autorités en avait interdit
l'utilisation jusqu'à ce que la vérité soit dévoilée. Bien
qu'elle ait déjà diminué, une odeur insupportable emplissait
l'atmosphère des débris. Séparée de la pièce par un mur de verre
craquelé, la salle des machines était restée étrangement intacte
là où une ombre suspecte se trouvait. Des doigts vernis de rouge
couraient sur le clavier.
Les
DEL clignotantes comme des abeilles indiquaient que les lecteurs de
disques fonctionnaient correctement. La copie complète d'un grand
nombre de données ou d'un programme extrêmement vaste s'effectuait
probablement. Une fois le tout copié sur une dizaine de disquettes
de huit pouces, la femme poussa involontairement un long soupir.
«
Professeur Obara, avez-vous fini ? »
La
voix rauque d'un homme passa à travers l'entrebâillement timide de
la porte. Des yeux inquiets s'y faufilaient.
«
J'aurais des problèmes si on remarque que quelqu'un est entré dans
la salle de CAI.
- D'accord.
J'ai presque fini. »
En
dépit des paroles nasillardes de la femme, le concierge sortit la
tête avec réticence. Claquant la langue, ses doigts rampèrent à
nouveau sur le clavier. Un message s'afficha à l'écran.
>
PROGRAM"DEMON" (Programme "DEMON")
DELETE YES OR
NO? (Effacer oui ou non ?)
L'ordinateur
demanda si elle voulait effacer un programme ou pas.
>
YES (Oui)
Son
doigt caressait la touche puis appuya lentement sur la touche Entrée.
Les bandes magnétiques de l'ordinateur hôte tournèrent en claquant
avant de vite s'arrêter. À ce moment, le programme d'invocation des
démons de Nakajima Akemi disparut de l'ordinateur hôte de la salle
de CAI du lycée Jûshô sans laisser aucune trace.
L'homme
était comme une ombre accoudée au mur de béton. C'était Isma
Feed, sa noble tête dépassait de sa tunique de lin jauni, avec des
cheveux argent tombant jusqu'aux épaules. Mais les gens passaient
sans lui prêter aucune attention. Ils ne cherchaient pas
particulièrement à l'éviter. Ils ne remarquaient même pas son
existence. Il avait élevé une barrière magique autour de son
corps. Le soleil tapait sur son visage sculpté. Mais il jetait de
temps en temps des coups d'œil au lycée, comme s'il attendait
quelque chose impatiemment.
Même
si je ne peux pas ressentir de Qi. Il est indéniable que ce Nakajima
est parvenu à invoquer un démon.
Dans le passé, il était très difficile d'invoquer un démon dans
le monde Assiah (monde réel) à cause des conditions
environnementales nécessaires extrêmement ardues à contrôler,
comme le géomagnétisme ou le temps. Ces dernières années, le fort
champ magnétique que pouvait instaurer un ordinateur capable
d'éliminer une grande partie de l'impact de ces interférences
attira beaucoup l'attention des magiciens occidentaux.
À
partir des données de l'ISG, Isma avait eu la preuve qu'un garçon
japonais avait réussi à utiliser un ordinateur pour invoquer un
démon et s'était précipité au Japon. Toutefois, il ne trouvait
aucune trace de Nakajima ni aucun signe d'un démon au lycée Jûshô.
Même si ça prend du temps, je vais devoir localiser
Nakajima...
Tournant les talons,
les cheveux argent d'Isma bougeaient lentement. Quand il entendit
quelque chose :
« Professeur,
veuillez garder ce qui s'est passé aujourd'hui secret... »
C'était une voix
suppliante. Regardant derrière lui, il vit une femme tenant un grand
sac se servant de sa main pour éloigner un homme d'âge moyen. Une
femme... non, ce n'est pas tout. Le magicien Isma sentit un
puissant Qi venant d'Obara. On voyait de l'irritation de le regard de
celle-ci qui marchait en direction d'Isma sans se rendre compte qu'il
la fixait. Elle possédait un charme féminin de plus en plus grand
comme un mannequin inexpérimenté avec des proportions parfaites.
Son regard chaud mais pourtant sombre n'inspirait que le désir du
fruit défendu.
Un
démone est vraiment apparu dans le monde Assiah. Le corps de cette
femme abrite une vie démoniaque.
Les lèvres d'Isma se déformèrent. Obara s'approcha. Isma cligna
des yeux deux ou trois fois. Il s'agissait sûrement du signal pour
désactiver la barrière, Obara fut arrêtée net, comme foudroyée
par la surprise. Juste devant elle se trouvaient des yeux bleus qui
la fixaient étrangement. Au plus profond de ses yeux, on pouvait
voir une lueur malfaisante révélant l'atrocité de son esprit.
Obara arrêta ses pas comme si elle avait été aspirée dedans.
Obara
vouait un culte de sentiments à Loki... En juin, elle avait été
offerte en sacrifice à Loki par l'étudiant Nakajima Akemi via un
ordinateur. Loki qui ne pouvait pas encore prendre forme dans le
monde réelle, l'a prise dans un monde numérique. L'envoûtante
Obara n'ignorait rien des hommes. Mais le tourbillon de plaisir
proche de la mort marquant la communion avec un démon amena le mal
innée de cette femme à son paroxysme. Loki finit par acquérir la
faculté de se matérialiser dans le monde Assiah. Obara s'abandonna
corps et âme à Loki et portait l'enfant du démon. Mais après être
parti à la poursuite de Nakajima qui s'était enfui à Asuka, Loki
coupa toute communication avec elle. Impossible, Loki n'a
pas pu perdre face à Nakajima. Contrairement
à ce qu'elle pensait, bien qu'ayant relancé le programme
d'invocation des démons plusieurs fois, Loki ne répondait toujours
pas. À sa place, seul le démon Seth apparut.
De
plus, maintenant qu'il était formellement interdit d'entrer dans
l'importante salle de CAI, utiliser les ordinateurs était plus dur
que de déplacer une montagne. Elle se demandait où elle pourrait se
servir du programme d'invocation des démons qu'elle avait tant bien
que mal réussi à voler pour contacter Loki. Obara n'y avait même
pas encore songé. Mais au moins j'ai le programme. Obara
hâta le pas comme pour oublier la vision de Loki.
« Yod, Heh, Vav,
Heh. »
Une voix toute
proche lui dit cela. Les pieds d'Obara s'arrêtèrent aussitôt.
« … »
Regardant derrière
elle, Obara vit les dents blanches d'Isma entre ses lèvres. Sûrement
à cause de l'absence de sa barrière, les yeux écarquillés des
passants sur le trottoir fixait l'étrange combinaison de cette
charmante jeune femme avec cet étranger suspect.
« Allons-y. »
Obara muette, Isma
ferma les yeux à moitié et commença à marcher en silence. Comme
tirée par un fil invisible, Obara lui obéit et le suivit.
Il était pressé.
Le visage rouge de cet homme chauve posé sur son cou de taureau
brillait d'impatience. Parmi les gratte-ciels de la sortie Ouest de
la gare de Shinjuku, se trouvait le Saito Hotel Plaza reconnu pour
abriter de nombreux étrangers. Trottant dans le hall vers
l'ascenseur, ça ne correspondait pas vraiment à l'image de cet
hôtel.
C'était Shimazaki
Ryuunosuke. Il avait une réputation d'infâme financier rachetant et
vendant des entreprises avec des capitaux étrangers. On disait que
les trois cents sociétés affiliées à Shimazaki pouvaient
facilement faire plus de cinq cents milliards de yen (un peu moins de
cinq milliards d'euro) par jour. De plus, il avait beaucoup
d'influence au sein du parti libéral au pouvoir. Qui pouvait-il
aller voir seul et sans son secrétaire ? L'ascenseur alla au
quinzième étage où Shimazaki s'arrêta devant la porte portant la
plaque 1504.
« Loki est un démon
! Un démon ne peut pas mourir ! »
Les cris hystériques
d'une femme interrompirent les mouvements de Shimazaki. Il prit une
note dans sa poche sceptique et vérifia le numéro de la chambre.
Finalement, il frappa à la porte.
« Alors désormais,
c'est un démon du nom de Seth qui est apparu à la place de Loki. »
Impatient, Shimazaki
éleva le ton.
« On dirait, selon
les dires de Miss Obara... »
Alors qu'il
répondait, les fines lèvres d'Isma se déformait dans un sourire
atroce. Il rapporta avec minutie toute l'histoire narrée par Obara à
Shimazaki. Pendant ce temps, préoccupée, Obara se tenant debout
posa sa main sur la poignée de la porte.
« Où allez-vous ?
»
Isma posa un regard
noir sur Obara.
« Je n'ai pas
d'ordre à recevoir de vous. »
Exaspérée, elle
lui renvoya son regard. Mais cela ne perturba pas Isma du tout. Comme
volant dans les airs, son bras effilé attrapa instantanément la
nuque d'Obara alors maîtrisée.
« Que pensez-vous
pouvoir faire toute seule ? Nous ne sommes pas sûrs que Loki soit
mort. Mais si vous ne cessez pas d'opérer le programme d'invocation
des démons avec vos connaissances très limitées, vous finirez
juste par vous faire tuer par Seth ! »
Pour se débarrasser
d'elle, Isma jeta Obara. Tombée accroupie, sa nuque blanche portait
de belles marques rouges et noires de ses doigts. Écartée de la
porte, Obara dans un mélange d'humiliation et de honte soupirait
fortement.
« Mister Shimazaki,
j'aimerais que vous me prépariez rapidement un ordinateur.
- Bien
sûr, Saint. Que ce soit un supercalculateur d'IBM ou bien un Cray
1, votre machine sera celle que vous voudrez. En contrepartie, vous
me laisserez utiliser la puissance du démon... »
Shimazaki se
frottaient les mains vers le bas. Isma lui répondait par un sourire
ironique quand il vit Obara tenter de fuir en rampant.
« Vous n'avez
toujours pas compris ! »
Se retournant,
« Yogso-oth, Ya,
Ryubikei, Hara »
Isma murmura une
incantation. Au même instant Obara roula au sol dans un gémissement
animal. Ses mains saisissaient désespérément son gorge. Ses ongles
manucurés, d'un rouge brillant s'enfonçaient dans sa gorge,
déchirant les muscles et faisant couler son sang.
« Cette marque sur
votre gorge ne disparaîtra pas aussi facilement. À chaque fois que
je jetterez un sort, vous pourrez déguster la souffrance de la
potence. »
La voix d'Isma aux
oreilles d'Obara se tordant de douleur paraissait un écho lointain.
Tout autour de
Nakajima s'étendait le vide infini. Pas de lumière, pas de
ténèbres, le chaos seulement. Un instant plus tôt il était
entouré par les murs en cinabre rouge protégeant la tombe d'Izanami
et par l'air pur l'environnant. La peur l'avait fait s'agenouiller.
Sur son visage effilé à la beauté féminine, ses yeux an amande
étaient fermés de toute leur force. Mais dans son crâne, une voix
digne l'en réprimandait.
« Lève-toi... et
pense aux personne qui ont besoin de toi en ce moment même ! »
Nakajima se figurait
de toute ses forces le visage de Yumiko. Le brouillard blanc
tourbillonnant devant ses yeux commença à former un visage humain.
« Yumiko ! »
Mais dès qu'il eût
prononcé son nom, le brouillard perdit sa forme. Son corps semblait
bizarrement assez petit.
« Nakajima, il y a
quelqu'un d'autre que moi qui a plus besoin de toi. »
C'était la voix
familière de Yumiko. Mais, elle s'éloigna bientôt.
« Akemi, Akemi. »
La voix la
remplaçant était totalement effondrée et ne cessait d'appeler son
nom. Par réflexe, Nakajima boucha ses oreilles avec les deux mains.
Les appels de la voix se faisaient de plus en plus bruyants. Face à
la puissance de cette voix, Nakajima avait l'impression d'être de
plus en plus petit. Le brouillard blanc s'agrégea de nouveau pour
représenter une superbe femme lui ressemblant. C'était la mère de
Nakajima.
« C'est faux ! Je
n'existe pas à tes yeux. »
Il criait comme un
enfant grincheux. Mais cela n'atteignit pas la voix. L'antipathie
qu'il éprouvait pour sa mère toujours absente était peut-être
assez forte pour submerger son ego. Mais le brouillard grossit
bientôt alors qu'il l'enveloppait peu à peu.
« N... O... N ! »
Sa résistance
désespérée affaiblit un instant le flux du brouillard. Le
magnifique visage regardait vers lui plein de tristesse. Comme
détachant les cordes l'opprimant, ce doux regard éclaircit le cœur
de Nakajima.
« Maman... »
Au moment où il
murmurait, son corps se changeait en une des gouttelettes d'eau
formant le brouillard. C'était comme si pendant un instant
d'euphorie totale, il avait rejeté son corps. Le brouillard
entourant Nakajima commença lentement à se déplacer. Il n'y avait
ici ni distance ni temps. J'aimerais déjà y être. Ainsi
priait Nakajima. Mais sans qu'il le remarque, le vide était devenu
une image de la réalité.
Une lumière tamisée
sur des murs blancs tourbillonnait autour de Nakajima. Du coin de
l'œil, il vit le profil attristé du visage de sa mère.
« Maman. »
Un sentiment de
flottement, comme s'il se trouvait en apesanteur, troubla sa
conscience.
« Hmm... »
Alors qu'il
gémissait et se relevait, il se trouvait déjà de retour dans le
monde réelle. Un canapé familier ; un buffet familier ; quelque
part dans cette pièce silencieuse se trouvait la forme de sa mère
esseulée, perdue dans ses pensées.
Au même instant où
Isma Feed rencontrait Obara pour la première fois, un étranger
pénétrait le cabinet du premier ministre. C'était aussi le même
instant où la puissance de la déesse Izanami avait renvoyé
Nakajima dans le monde réelle où sa mère l'attendait.
« All right,
Richard. I'll do my best for your friend Dr.Feed (D'accord, Richard.
Je ferai de mon mieux pour votre ami Dr. Feed) »
Il raccrocha l'appel
international et ses yeux scrupuleux cachés derrière ses lunettes
regardait l'étranger assis sur le canapé avec perplexité. C'était
Fujita, le Secrétaire Général du Cabinet.
« C'est inévitable.
»
Se raclant la gorge,
il appuya sur le bouton de son interphone d'un doigt robuste.
« Envoyez-moi
Narukawa du Service Spécial d'enquête. »
Peu de temps après
son ordre, Fujita se leva.
« Dr Feed, je viens
d'accepter la requête du conseiller présidentiel Richard vous
concernant
- Merci...
»
Le grand homme blanc
et mince se leva brusquement du canapé. Il avait de superbes cheveux
blancs accompagnés d'une barbe blanche lui allant à la perfection.
C'était le fondateur du ISG, le professeur du MIT, Charles Feed.
« S'il-vous-plaît,
attendez un instant, Dr. Feed. »
Retenant son
visiteur par un sourire maladroit, Fujita s'assit à l'autre bout du
canapé.
« Je me demande
avec beaucoup d'intérêts pourquoi vous vous passionnez pour cette
affaire de disparitions survenues dans un de nos lycées japonais. De
plus, je n'arrive pas à comprendre comme vous avez pu obtenir le
soutien du Conseiller présidentiel...
- Même
si j'essayais de vous l'expliquer brièvement, il est probable que
vous ne me croiriez pas. »
L'expression du
professeur Feed se troubla. On frappa à la porte.
« Entrez. »
Tout en le disant
Fujita se retournait alors qu'un petit homme tel une ombre refermait
la porte derrière lui.
« Laissez-moi vous
présenter Narukawa du Cabinet des Renseignements et du Service
Spécial d'enquête. Sans l'aide des Départements de police, mener
librement votre enquête serait difficile. Ainsi, quelque soit la
situation, cet homme pourra garantir votre liberté d'action. »
Narukawa tendit sa
main droite. Il y avait des traces de brûlures sur sa paume pâle.
« Enchanté, Mister
Narukawa. »
Juste après avoir
saisi la main de Feed, ce dernier leva la tête, se penchant en
arrière comme si on lui avait envoyé un courant électrique.
« Narukawa est
maître d'arts martiaux en tous genres. Il pourra facilement assurer
votre protection en tant que garde du corps également. »
Aux mots de Fujita,
Narukawa regarda Feed et son visage mince marqua un sourire
audacieux.
Les arbres de
Musashino baignés dans la lumière du soleil défilaient sur les
vitres de la Cadillac qui roulait en direction du lycée Jûshô.
« Ce sont tous les
documents se rapportant à Nakajima Akemi, n'est-ce pas ? »
Profondément
enfoncé dans le siège arrière de la voiture, Feed interrogeait
l'inspecteur Iwama assis à côté de lui, caressant sa barbe.
« Oui. C'est un
lycéen des plus normal, alors on n'a pas tant de données que ça.
Mais Dr. Feed, pensez-vous vraiment que ce Nakajima est le cerveau de
cet incident ? »
Iwama ne comprenait
toujours pas pourquoi cet étranger avait été autorisé à mener
l'enquête.
« En un sens, je
pense qu'il a été victime lui aussi. Cependant, il y a joué un
rôle très important.
- En
avez-vous une preuve ? »
Le
ton d'Iwama ne cachait pas le sentiment désagréable dans sa
poitrine. Nous
avons terminé nos recherches sur les étudiants il y a longtemps.
Nakajima Akemi semblait bien attirer beaucoup l'attention des autres
mais n'avait aucune propension à la violence. Il avait aussi une
très bonne réputation auprès de ses professeurs. Mais
Feed ne prêtait aucune attention à l'attitude d'Iwama alors qu'il
était occupé à feuilleter les documents entre ses mains.
«
Les données qu'il a laissées sur la base de donnée que je dirige
en sont la preuve. Lorsque l'incident est arrivé...
- Le 13 Juillet, entre
dix et douze heure du matin, heure locale. »
Une
voix sans émotion se fit entendre du côté conducteur. C'était
Narukawa.
«
Au même moment, Nakajima discutait en ligne avec l'intelligence
Craft située à Arkham, dans le Massachusetts.
- Quoi ! Pourquoi
avez-vous garder pour vous un fait aussi important jusqu'à
maintenant... Non, pardon. Mais, vous allez naturellement nous en
révéler le contenu j'imagine.
- C'est bine parce que
ce contenu n'est pas aussi facile que ça à révéler que je suis
venu jusqu'ici. »
Le
ton de Feed était très calme.
«
Mais pour l'enquête, c'est... »
S'étant
levé par réflexe, la forte décélération fit tomber Iwama en
avant. La Cadillac noire avait déjà tourné et était passée par
le portail du lycée Jûshô.
Ces
collègues se taisent sur quelque chose.
Iwama continuait à exposer la situation alors qu'il fronçait les
sourcils à cause de l'odeur et de la chaleur de la salle de CAI qui
avait été scellée.
« Alors vous n'avez pas encore été en mesure d'identifier cette
matière ? »
Tout en mettant un peu de cette substance adhésive disposée sur les
décombres dans une boîte de pétri avec un geste expérimenté, le
professeur Feed interrogeait l'inspecteur.
« Malheureusement, pas jusqu'à présent... »
Iwama fronçait les sourcils. Au même moment, le son d'une
transmission se fit entendre sur un transmetteur attaché au bras de
Narukawa.
« Désolé, j'ai reçu un appel du QG. »
Comme toujours, Narukawa ne faisait aucun mouvement inutile. Le
visage du professeur en charge de la salle de CAI fit son apparition
depuis la salle des machines.
« L'ordinateur hôte est prêt. Par ici je vous prie... »
L'air conditionnée se mettant en marche, de l'air frais circula
enfin dans la pièce semblable à un sauna.
« La machine vient d'IBM n'est-ce pas ? »
Expert dans ce domaine, Feed commença à examiner le contenu des
programmes en mémoire sur l'ordinateur hôte. Alors que ses doigts
noueux entraient les commandes, une liste gigantesque des programme
apparut à l'écran.
« MATHEMATICS I, It's not! (MATHÉMATIQUES I, ce n'est pas ça !) »
Une marque rouge s'ajouta à la liste des programmes qu'il regardait.
J'aurais
peut-être dû vérifier le contenu des ordinateurs en effet... Iwama
regrettait en silence alors qu'il observait Feed passer en revue
toute la liste à l'écran.
« ENGLISH READER II, It's not! (Lecteur anglais II, ce n'est pas ça
!) »
Feed qui avait suivi toute la liste à l'écran dans l'ordre, tel un
aigle scrutant l'horizon baissa les vite les épaules ensuite.
« Le programme que je cherche n'est peut-être pas ici. Après tout,
il aurait pu être ajouté aux fonctions de l'OS (système
d'exploitation) directement. Puis-je avoir la documentation de cet OS
?
- Si
vous la voulez, elle est gardée dans la salle des professeurs. »
Le professeur en charge avait l'air de ne rien comprendre.
« Non attendez... »
Soudain, Feed lança un regard nerveux vers Iwama et le professeur.
« Quelqu'un aurait-il modifié ce système depuis l'incident ?
- La
police a naturellement fait interdire tout accès à cette pièce. »
Le regard d'Iwama se tourna vers le professeur. Au même instant,
Narukawa revint et remit une note à Feed.
« N. came back (Nakajima est revenu) »
À la simple vu du mot, le visage de Feed s'illumina.
L'homme
qui s'asseyait avec beaucoup d'hésitation sur le canapé s'était
présenté comme étant Saga du Cabinet
des Renseignements et du Service Spécial d'enquête. Le nom de
l'organisation était peu connu. À en juger pas sa façon de parler,
celle-ci devait être plus importante que la police. Pourquoi une
telle organisation s'intéressait à son fils ?
« Madame, nous
avons réellement besoin de votre aide pour cette affaire. Pour
Akemi... »
En réalité, son
fils ne lui avait pas parlé du tout de ce qui s'était passé au
lycée Jûshô. Mais depuis son retour, quand il était apparu de
nulle part, une lumière chaleureuse qu'elle ne lui connaissait pas
brillait dans ses yeux. C'étaient des yeux doux qui l'enveloppaient
totalement mais il y avait autre chose.
Akemi n'avait rien
dit. Après son retour, il était resté perdu dans ses pensées et
il fallut une petite heure avant qu'elle ne remarque son visage
derrière elle. Elle s'était alors dirigée vers lui et dut se
contrôler de toutes ses forces pour ne pas l'étreindre. Elle était
en effet persuadée qu'il partirait à nouveau loin d'elle si elle
faisait cela. Akemi s'enferma dans sa chambre comme s'il avait réussi
à remettre ses idées en place puis s'endormit comme une masse. Mais
cela suffisait à sa mère. Son instinct maternel lui disait qu'il
avait subi une expérience extrême pendant cette semaine d'absence.
Ce
qui s'est passé ou ce qui ne s'est pas passé, je ne le saurai
jamais. Mais au moins Akemi ne m'a pas abandonnée.
Elle sentait désormais l'amour de son fils, venant du fond de son
cœur. Je
ne pardonnerai à personne de menacer Akemi ! Mis
un peu mal à l'aise par le regard sévère de la mère, Saga sortit
un paquet de Mild Seven (cigarettes japonaises) de sa poche de
poitrine.
« Excusez-moi,
auriez-vous un cendrier ? »
Dès qu'il ouvrit la
bouche, la sonnette retentit. La mère alla alors à l'interphone
mural.
« … oui, votre
collègue est déjà arrivé. Attendez, j'ouvre. »
Répondant à la
voix dans les haut-parleurs, elle se mordit la lèvre inférieure
ayant pris une décision, et se dirigea vers la porte. Souriant
amèrement, l'homme rangea sa cigarette dans le paquet et la suivit.